Approchant de Marseille pour sa tournée d'été des plages méditerranéennes, le Rainbow Warrior II y rencontrera un obstacle autrement plus redoutable que la proverbiale sardine. Dans un savoureux communiqué qui ne manque pas de rendre hommage à sa véritable clientèle - les media - au vocabulaire si caractéristique - témoignage et interpellation - et dans lequel elle revendique rien moins que le monopole de la diffusion des bulletins de santé sur la Méditerranée, la multinationale écologiste s'insurge contre la récente interdiction d'accostage qui la frappe, elle qui venait en toute impartialité faire part à la population de ses préoccupations au sujet du thon rouge. Derrière cette mesure, elle aperçoit la patte du comité local des pêches et de son remuant président, Mourad Kahoul, auquel elle prête de noirs desseins d'autant plus volontiers qu'elle le sait riche en ressentiments à son égard.

Principal sujet de litige, le thon rouge possède quelques caractéristiques qui rendent son exploitation particulièrement éprouvante : impossible à domestiquer comme le précise un récent travail de l'INRA, son élevage en bassins s'effectue à partir de la capture d'animaux sauvages, l'ensemble du processus impliquant le développement d'une flotte, de techniques et d'installations spécifiques, donc des investissements considérables à la rentabilité aléatoire. Il s'agit, en d'autres termes, du genre de risques que l'on prend lorsque l'on n'a plus le choix, et parce que l'espérance de gain, en l'occurrence la revente à prix d'or des plus belles pièces sur le marché japonais, reste considérable. Cette capture des jeunes thons destinés à l'élevage se trouve largement pratiquée par la flotte française, et en particulier à Sète, ville qui a la chance d'être trop petite et trop isolée pour intéresser Greenpeace.

Le Rainbow Warrior II fait donc route vers Marseille, où Mourad Kahoul et ses troupes l'attendent. Comme le rappelait récemment un journaliste de 20 Minutes, par ailleurs maître en matière de calembours, l'amertume des pêcheurs qui savent leur activité menacée par à peu près tout, de la concurrence de la pêche industrielle espagnole, qui a su autrement mieux s'adapter aux mutations en cours, à la prédation des flottes asiatiques, des entreprises de conservation écologistes à la bureaucratie bruxelloise, du développement urbain à la croissance des espaces touristiques, tout, sauf eux, n'attend que l'occasion d'éclater. Si l'affrontement a lieu il opposera, dans un rapport de forces a priori bien inégal, les 32 thoniers du comité au seul navire de Greenpeace, laissant ainsi face à face deux organisations qui n'ont d'autre point commun que la pratique routinière du recours illégal au coup de force.
Dans les couloirs de l'appareil d'État où traînent encore quelques douloureux souvenirs, on observera sûrement la bataille l'oeil goguenard.