Les éco-guerriers étaient donc en vacances. Sur le Rainbow Warrior II, ce très rare exemple de chalutier à voiles, ces bateaux pneumatiques qui font la fierté de son armateur comme en d'autres circonstances les flottilles embarquées d'un porte-avions seront donc restés, malgré cette bataille navale aux allures de joute provençale, beaucoup d'intimidation et peu d'affrontements, qui vient de prendre fin dans la rade de Marseille, largement inemployés.
Les nouvelles du front que publient l'organisation permettent en effet de constater qu'un seul de ses pneumatiques a été utilisé dans l'opération, les autres appartenant soit aux organes de presse, responsables de ces assez décevantes images où la contre-plongée du ras des flots ne permettait guère d'apercevoir que des coques plutôt menaçantes mais bien peu loquaces, soit aux pêcheurs qui s'en servirent dans ces simulacres d'abordage qui ont fait la fortune médiatique de Greenpeace, soit, exceptionnellement, aux autorités dont la ligne d'action se limitait à jouir paisiblement du spectacle. C'est que, entre l'aiguillon de la multinationale écologiste de passage et le nid de frelons des pêcheurs locaux qui ne manquèrent pas de profiter de l'occasion pour bloquer toute activité portuaire, le choix de la non-intervention s'imposa vite.

Faute de guerriers, l'organisation mobilisa donc ses comptables, lesquels dressèrent un inventaire précis, en appelant parfois les navires de leur petit nom, des forces adverses : trois inoffensifs chalutiers, un "tonnayeur", et 21 thoniers senneurs. Ces senneurs, qui composent l'essentiel de la flotte de pêche comme de blocus, ne sont pas désignés comme tels par amour désintéressé de l'exactitude.
En effet, dans le discours de l'organisation comme dans le compte-rendu de l'IFREMER, la pêche industrielle que pratiquent ces gros navires, en particulier quand, comme les français, ils capturent des specimens vivants destinés à l'engraissage en captivité que, puisqu'ils ne sont pas débarqués, l'on n'est guère en mesure de comptabiliser, est donnée comme responsable d'une surexploitation à la fois illégale, puisque dépassant largement les quantités autorisées, et génératrice d'une dangereuse baisse des ressources. Greenpeace, une fois de plus, en accusant ces seuls senneurs, vise à imposer sa norme d'une bonne pratique, celle où une petite pêche artisanale s'oppose à une activité industrielle, donc, en tant que telle, néfaste. Mais ce que l'on peut surtout lire là, c'est l'inanité d'une politique de quotas impossible, faute de dénombrements, à faire respecter, et qui ne trouvera donc sa justification qu'a posteriori, si jamais la ressource venait à disparaître. Un tel mode de contrôle, en d'autres termes, ne peut faire la preuve de son utilité que si, faute d'espèce à protéger, il devient superflu.

Le navire part maintenant vers une autre destination, Carthagène, et une nouvelle mission, la "problématique du bétonnage côtier" ; sur ce point, il arrive bien tard, mais, par contre, ne risque guère de voir des immeubles se jeter dans l'eau pour contrarier son approche.