D'après la Banque Mondiale, le Tchad compte au nombre des dix pays les plus pauvres au monde ; puisque pauvreté et corruption sont synonymes, Transparency International le classe, avec le Bangladesh, au dernier rang de son indice IPC. Dans la région de Doba, au sud, à proximité des frontières camerounaises et centrafricaines, le pays dispose de modestes ressources pétrolières découvertes voici trente ans et qui représentent, selon la BP Statistical Review of World Energy, moins de 0,1 % des réserves mondiales. Par les temps qui courent, ça mérite quand même d'être exploité, même s'il faut pour cela construire, essentiellement à travers le Cameroun, plus de mille kilomètres d'oléoduc jusqu'au terminal de Kribi.
Les américaines ExxonMobil et Chevron, la malaysienne Petronas  investirent ainsi l'essentiel des 4 milliards de dollars qui permirent de lancer l'exploitation en 2003 ; la Banque Mondiale, la Banque Européenne d'Investissement fournirent la part tchadienne du financement, sous de strictes conditions d'utilisation des ressources produites au profit du bien commun, éducation, santé, infrastructures, et pas du renouvellement des limousines de la présidence : encadré par force organismes de contrôle, le projet devait ouvrir une ère nouvelle de transparence et de prospérité et clore la déjà longue histoire des échecs de la Banque.

La suite était pourtant inscrite dans les précautions même que la Banque Mondiale avait prises pour empêcher qu'elle ne se produise : à l'automne 2005, le parlement tchadien décidait de piocher dans la cagnotte affectée aux générations futures pour combler le déficit budgétaire ; début 2006, la Banque réagit en coupant les vivres. Le gouvernement d'Idriss Déby menaça, lui, de fermer les vannes, et l'on arriva en avril à un accord qui préserve la vertu de la banque comme les intérêts du pouvoir tchadien ; mais l'histoire vient de connaître un développement inattendu.
Samedi dernier, en effet, Idriss Déby, dans un geste à la Evo Morales, prenait prétexte d'une obscure question de taxes impayées pour donner à Chevron et Petronas, les deux associés minoritaires d'ExxonMobil, une journée pour rendre les clés et faire leurs valises. À juste titre, le correspondant de Reuters ne voit pas là seulement la marque de ce courant de dénonciation des contrats par lequel, profitant des tensions sur l'approvisionnement pétrolier, des producteurs même modestes cherchent à obtenir plus de la vente de leur matière première. Car, maintenant que les investissements sont faits et les infrastructures productives, le Tchad, jusque là de ces pays pauvres qui vendaient à Taïwan leur voix à l'ONU, peut se permettre de rompre ses relations avec la province rebelle pour se tourner vers la Chine continentale. Et si la manoeuvre d'Idriss Déby, qui consisterait à créer une compagnie nationale sur le dos de Chevron et Pétronas, avec des capitaux chinois et l'assentiment d'ExxonMobil, lequel n'est certainement pas prêt à s'engager sur un terrain aussi miné, paraît bien naïve, le Grand Jeu est de retour, il s'étend maintenant sur le monde entier et comprend un nouvel acteur de poids désormais en mesure d'y prendre part selon ses propres règles.