Prise par les glaces la moitié de l'année, avec des températures hivernales qui descendent en dessous des - 30°, parcourue par des vents violents et des vagues oscillant généralement entre un et trois mètres, la mer d'Okhotsk est un sale endroit pour passer des vacances. Sur son flanc sud-ouest, l'île de Sakhaline, point final de l'archipel japonais, se caractérise en outre par une considérable sismicité, le tremblement de terre de 1995 y ayant causé la mort de près de 2 000 personnes. On imagine donc le risque que fait peser ce premier réseau de contraintes physiques sur l'exploitation de la seule ressource qui justifie d'y investir une somme aujourd'hui évaluée à vingt milliards de dollars : une raisonnable quantité de pétrole, et suffisamment de gaz pour couvrir un siècle de consommation japonaise. Pour ce pays dont l'approvisionnement dépend d'une production moyenne-orientale dont la route, d'Ormuz à Malacca, collectionne les détroits à risque, ce gaz à portée de main justifie même d'enterrer la hache de la seconde guerre mondiale. Après la phase 1, conduite par Exxon et dont la production, majoritairement pétrolière, se dirige vers la Russie, Sakhalin 2, sous la maîtrise d'oeuvre de Shell, verra, par trente mètre de fond, l'érection de la première plate-forme maritime russe d'exploitation du gaz et la construction d'un gazoduc et d'un oléoduc qui achemineront les hydrocarbures au sud de l'île, vers un énorme complexe de liquéfaction, lequel irriguera ensuite toute l'Asie orientale, et la Californie si besoin est.

Le temps, pourtant objectivement pas si ancien, paraît bien lointain où l'on aurait avant tout salué là l'invraisemblable exploit technique qui, désormais, ne fait plus la fierté que des journaux d'entreprise. Car, par un fait exprès, on rencontre parfois sur les zones de production une rare espèce de cet animal, de l'ordre de la centaine de têtes, auprès duquel le sort du consommateur japonais, qui serait d'ailleurs ravi de lui régler son compte en l'invitant à sa table, ne pèse pas lourd : la baleine. Moins par souci d'amadouer cet irréductible activisme écologiste que dans celui de le priver de motifs à recours juridiques, les investisseurs de Sakhalin 2 ont ainsi déplacé leurs tuyaux pour ne pas gêner les cétacés. Du soutien aux arts traditionnels à l'engagement de ne pas trop remuer la vase en posant les oléoducs pour ne pas déranger les saumons, d'une archéologie préventive qui n'a plus d'équivalent dans nos contrées à la fourniture d'ambulances aux hôpitaux locaux, le site web du projet donne d'ailleurs une idée de la quantité, et de la variété, de la verroterie à fournir pour contenter l'indigène, désarmer l'écolo, et remplir cet objectif impossible au nom duquel on doit pouvoir investir vingt milliards de dollars sans rien modifier de l'environnement.

Malheureusement, les exigences du propriétaire terrien se révèleront autrement plus difficiles à satisfaire : au prétexte de violations de la réglementation, l'agence russe pour l'environnement, malgré sa dénomination contradictoire, vient de réclamer l'annulation des permis d'exploitation. On murmure que Gazprom, le bras armé du pouvoir dans la reconstitution de l'Empire, qui vise par ailleurs, avec l'algérien Sonatrach, à constituer un cartel pour le plus grand profit du consommateur européen, ne serait plus satisfait de l'accord en fonction duquel il prendrait 25 % des parts d'un projet jusqu'ici partagé entre Shell et des compagnies japonaises. Il semble, en d'autres termes, que l'on cherche à refaire sur une bien plus vaste échelle le coup d'Idriss Déby. What a way to make a living.