Dans Faire l'opinion, un ouvrage publié en 1990, Patrick Champagne montrait comment le sondage, cet outil statistique originellement destiné à estimer la quantité de boulons défectueux à la sortie d'une machine, avait été recyclé par les organes de presse pour assoir leur légitimité face à celle des politiques légitimement élus. Grâce au sondage d'opinion, ils purent en effet revendiquer, à l'opposé des politiques, une lecture à la fois impartiale, puisque produite par des journalistes, fidèle, puisque scientifique, et actuelle, dans la mesure où l'on pouvait en permanence commander un nouveau sondage qui apporterait les dernières nouvelles du front des consciences, de cette opinion publique qui fait la démocratie. Depuis, le succès de la méthode lui a valu une large diffusion et une nombreuse descendance, et en a donc fait un outil de choix de la lutte politique, produisant parfois, comme avec le sondage commandé cet été par Agir pour l'environnement, une micro-entreprise de morale écologiste, et repéré via la République des blogs grâce au blog tenu au nom de Dominique Voynet, des exemples suffisamment caricaturaux pour servir de matière à une courte analyse.

L'objet, en fait, se révèle microscopique, puisque le Sondage nucléaire d'Agir pour l'environnement ne comporte que quatre questions. Mais la base de sondage se compose de plus de 1000 personnes, et la prestation se trouve confiée au grand spécialiste du genre, Brulé Ville et Associés. On comprend ainsi que la légitimité de l'opération ne procède plus de la méthode, désormais guère contestée hors des cercles universitaires et donc à court d'effets d'imposition, mais bien de la notoriété même du prestataire ; les faibles ressources financières du commanditaire expliquent alors la modestie du sondage, et son inclusion dans ces enquêtes fourre-tout connues sous le nom d'omnibus : BVA, c'est cher, et on n'a pas beaucoup d'argent ; du coup, on prend l'omnibus ce qui, après tout, pour des écolos, s'impose.

Destiné à "évaluer le niveau de connaissance de la population française en matière de nucléaire", fonctionnant donc scolairement comme une sorte d'interrogation de contrôle, le sondage fournit un cas pratique des diverses façons de rédiger une question de manière à produire la réponse que l'on souhaitait obtenir. On voit mal, ainsi, comment répondre non lorsque l'on vous demande si le nucléaire est une "technologie à risque" ; on imagine difficilement, d'ailleurs, ce que pourrait bien être une technologie sans risque, voire même comment ne rien risquer tout en étant vivant.
"est-il normal d'investir trois milliards d'euros dans la construction d'une nouvelle centrale nucléaire", demande-t-on ensuite. Ici, et alors que l'on ne saurait orienter plus une question dans le but de recevoir une réponse négative, le non ne recueille que 54 % des suffrages ; sans doute la ficelle paraît-elle trop grosse, la technique de l'escamoteur trop évidente, ou la somme pas si considérable. Et l'on songe aux multiples questions qui ne seront pas posées, du genre "êtes-vous prêt à payer votre électricité photovoltaïque à son véritable coût de production, soit dix fois celui du nucléaire ?".
La question suivante présente un intérêt d'un autre ordre, puisqu'elle cède à cette récurrente revendication du référendum, l'arme par laquelle les populistes cherchent à construire leur légitimité contre celle des élus. Enfin, la dernière, qui demande de classer diverses options énergétiques, et place en tête les "énergies renouvelables", cet oxymoron, vise à confirmer si besoin était que la leçon a été bien apprise.

On prenait, en somme, d'autant moins de risques en commandant ce sondage que, connaissant les résultats d'avance, on pouvait déjà prévoir leur exploitation politique, ou, plus prosaïquement, espérer en obtenir une. Mais, sur le site de la grande surface verte qui, l'année précédente, avait choisi l'IFOP pour poser des questions du même ordre, pas un mot. Il faudra sans doute compter sur une sympathie militante pour, à partir du minuscule pseudo-événement commandé à BVA, revendiquer sur le blog de Dominique Voynet la présence en France d'une majorité d'anti-nucléaires. Encore un peu, et on aurait ajouté "militants", histoire de finir d'imposer son rêve à la réalité.