L'avantage de tenir des activités sociales en ces zones défavorisées que l'on présuppose à tort oubliées de Dieu est qu'elles offrent, parfois, une occasion que l'on n'aurait jamais obtenue autrement de découvrir, au détour d'un carrefour, des choses étonnantes. En l'espèce, une petite église en béton nu construite sur un soubassement qui tient de la casemate mais dont la flèche élancée, bizaremment située au centre de l'édifice, et les contreventements, qui a priori ne jouent pas de rôle structural, rappellent les cathédrales, et dont la nef, pour l'essentiel tressée de croisillons de béton, se voit intégralement garnie de vitraux. L'excellent état de l'ensemble donnerait presque l'impression d'une de ces constructions typiques du tournant des années soixante si sa façade un peu lourde et surchargée de sculpturales allégories, elles aussi en ciment, n'évoquait les années trente et leur goût pour la statuaire édifiante, ce que confirme le portail, beau travail de ferronnerie clairement Art Déco, mais un peu déplacé au milieu d'un ensemble d'inspiration plus traditionnelle.
Google nous honorant toujours de son indéfectible amitié, on découvre rapidement l'identité du bâtiment, l'église Sainte Thérèse d'Aubergenville, sa date de construction improbablement précoce compte tenu de son audace technique, 1927, moment où Le Corbusier parsemait encore son béton d'épaufrures, et, en fait d'architecte, un nom qui n'est pas inconnu : Paul Tournon.

Prix de Rome, ce qui a suffi à beaucoup, catholique sans mièvrerie, les amateurs d'architecture se souviennent de lui comme d'un bâtisseur d'édifices religieux, à Villemomble, à Casablanca, et plus encore avec l'église du Saint-Esprit du boulevard Daumesnil, à proximité de la place Félix Eboué.
Du dehors, en passant à son pied, on remarquera à peine une facade étroite mais soigneusement travaillée, coincée entre deux immeubles post-haussmanniens et qui n'offrirait pas grand'chose d'autre que cet appareillage de briques caractéristique de l'époque si elle n'était surmontée, une fois de plus, d'une squelettique flèche plantant sa croix au plus hauts des cieux. On commettrait une erreur impardonnable, un jour de grand soleil, en ne franchissant pas son porche : on découvrira alors, sur un terrain que l'on imaginait pourtant minuscule, une incroyable coupole byzantine, sans doute parmi les plus vastes et les plus hautes de Paris, soutenue par un étonnant réseau de colonnes et d'arcades, le tout dans ce béton brut de décoffrage cher à Corbu, mais agrémenté d'une décoration exceptionnellement riche. Paradoxalement, alors que Sainte Thérèse était preque intégralement vitrée, l'église du Saint-Esprit ne laisse passer le jour que par quelques ouvertures placées très haut, dans le pourtour de la coupole ; on voit bien pourtant que le trajet de la lumière, au travers des vitraux ou bien de l'éclairage zénithal a reçu toute l'attention de Paul Tournon, comme plus tard celle de Le Corbusier au couvent de la Tourette.

Dans ces années trente qui virent, entre l'Etat et le clergé, sur l'arrière-plan de la modernité naissante, une concurrence se jouer par la construction d'écoles et d'églises, des architectes qui, certes, ne firent rien de révolutionnaire, eurent l'occasion, grâce à ces maîtres d'oeuvre qui ne rechignaient pas à une certaine modernité bien contrôlée là où d'autres se complaisaient dans l'immondice, de mener à bien quantité de projets qui, aujourd'hui encore, remplissent anonymement leur tâche, en y investissant un souci esthétique que, au fond, on leur réclamait à peine et qui allait bien au delà de la facilité de l'ornement postiche. Leurs bâtiments tapissent les grandes agglomérations de ces petites choses insolites et honorables que l'on peut découvrir chaque jour lorsque l'on regarde autre chose que le bout de ses pieds.