au goulp, les élus
On a beau ne pas être partie prenante, ayant choisi cette si confortable pose d'observateur sarcastique simplement parce que, aussi longtemps que l'on pourra choisir carrière politique en option à la seule ENA, tant que l'on continuera à attendre ces minuscules mutations fondamentales, comme l'interdiction totale du cumul des mandats ou la fin de cette inégalité des chances entre élus qui découle de leur appartenance ou pas à la fonction publique, tout ce débat sur le changement politique n'aura d'autre but que de ne rien changer, on ne peut malgré tout rester insensible au dernier coup d'éclat de la candidate socialiste à l'investiture.
Si les réactions à l'institutionnalisation de cette sorte de jugement permanent du peuple souverain auquel la candidate souhaite soumettre les élus ont rarement été pour, et très majoritairement contre, les commentaires portent essentiellement, outre la plate démagogie de la proposition, sur son impossibilté pratique ou sur son abandon implicite du paradigme de la démocratie représentative. Pourtant, derrière ce
pétard mouillé, au delà de l'anecdote des "jurys de citoyens" qu'évoque le texte de la candidate, apparaît une argumentation d'autant plus inquiétante qu'elle est désormais récurrente, et qui vise à valoriser une connaissance populaire issue de la seule expérience quotidienne, et à
l'opposer, en les plaçant à parité, à la connaissance scientifique qui caractérise l'expert dans une vertigineuse inversion des genres où l'ignorant se trouve fondé à juger le savant, au motif que le citoyen, du seul fait qu'il a appris à vivre en société, sera "apte
à formuler des recommandations sur des sujets aussi complexes que les biotechnologies".
Pourquoi, en effet, mon coiffeur qui, après tout, dispose lui aussi d'une expertise nécessairement valorisable, à la Wikipedia, en matière de produits cosmétiques, et qui prend des cours au CNRS n'apprendrait-il pas son métier de biochimiste à un Jean-Yves Le Déaut, lequel mena longtemps de front ses carrières de député PS et de professeur à la Faculté des Sciences de Nancy, lui qui appartient à l'OPECST, ce club des scientifiques du Parlement auteur de si remarquables rapports, et compte au nombre de ces députés qu'évoquait
récemment Autheuil et dont la connaissance de leur sujet est inversement proportionnelle à leur agitation lors des spectacles télévisés du mercredi, à l'Assemblée ? Parce que tout citoyen qui viendrait chercher un véritable expert sur son terrain se verrait vite, et sans détours, renvoyé à son absence d'études, parce que, quel que soit le domaine, la complexité des thèmes et des procédures impliquent la professionnalisation et que, entre professionnels, les amateurs, on n'en a rien à foutre. En d'autres termes, le jugement technique qu'un individu ordinaire pourrait porter sur le travail d'un élu ne se caractériserait pas par une pertinence dont il serait dépourvu, mais par le fait, comme pour les biotechnologies ou le nucléaire, que son contenu serait entièrement formé d'une croyance, laquelle aura été fournie et confortée par ces groupes qui ont réussi, au moyen de techniques d'apparence neutre comme ces sondages que l'on a déjà étudiés, à substituer leur argumentaire à l'argumentaire officiel, lesquels groupes se trouvent bien peu nombreux du côté droit de l'hémicycle et ont donc toutes les chances, eux et leurs sympathisants, de se retrouver un jour au nombre des électeurs de la candidature socialiste.
Car on sait bien qui leur apprend quoi et pourquoi, à ces citoyens : la Mairie de Paris en son site web, ou plutôt sa profusion de sites web et sa multiplicité de sondages, consultations, communications, tous soigneusement biaisés pour ne faire apparaître que ce qu'elle souhaite entendre, et qui pousse le vice jusqu'à dévoyer d'honnêtes statistiques et d'infortunés statisticiens pour produire de véritables oeuvres d'idéologie maquillés par une couche de vernis scientifique comme son Bilan des déplacements, offre un vivant laboratoire de ce que, dans la frange démago du Parti Socialiste, on appelle démocratie participative. La campagne s'échauffe, plus ça va, plus les habitus se dévoilent et, entre le père fouettard et la mère la pudeur, on est bien barrés.
Commentaires
Je suis régulièrement inondé de mails qui viennent me hurler leur colère devant tel ou tel «scandaleux déni de démocratie» (souvent sur des points environnementaux, les OGM, principalement).
Ces démocrates offusqués trouvent alors tout à fait normal de dicter aux destinataires, certainement choqués eux même, de longues lettres de protestation à faire parvenir aux autorités compétentes (les élus bien sur).
Bien que parcourant distraitement ces argumentaires, il m’est arrivé d’en reconnaître, très peu altérés, de long passages chez Daniel Mermet (sur ce « répondeur » qui débute ses émissions) ou aux détours de commentaires de blogs.
Au ton hargneux on sentait qu’il manquait à ces mots une tribune plus en vue et, surtout, le bâton de la sanction. Effectivement, à gauche (mais pas seulement ; il n’y a pas vraiment de monopole de la croyance «fournie et confortée») il y en a qui doivent bouillir d’excitation depuis l’annonce de cette proposition.
Entre le père la pudeur et la mère fouettard, ça marche aussi... que voilà une contrepèterie riche! Mais ça n'arrange pas nos affaires....
Salut, Denys, c'est toujours un plaisir de te lire, mais qu'il est difficile de prêcher des convertis (et à quoi au juste).
Les manoeuvres socialistes ne se distinguent pas de celles de leurs homologues de droite (camarades de prépa)... disons alors que les jury citoyens serait une occasion de plus de méditer sur les inégalités génétiques, sociales et éducatives de notre beau pays, le droit n'est pas là pour établir une quelconque forme d'équité entre les individus, mais simplement pour éviter qu'ils ne s'entretuent... en se sens tout ce qui permet au citoyen de s'imaginer une quelconque forme de participation au fonctionnement de cette société est une bonne chose, une réelle participation nécessiterait de contrevenir aux lois naturelles (où donc nous conduirait le véritable pouvoir du peuple)... donc une spéculation oiseuse.
Pour l'instant, même si je fait partie de ces spoliés du libéralisme qui font tourner (à leur modeste niveau) ce monde, mission accomplie pour nos élites socio-professionnelles.
A vous entendre, nos technocrates omniscients, infaillibles, et à l'objectivité irréprochable car à l'abri de tous ces lobbies qui corrompent le jugement de l'homme de la rue, ne peuvent rendre de comptes qu'à ceux de leur caste.
Non.
Leur capacité à expliquer, à vulgariser, à convaincre de leurs choix fait partie intégrante de leur rôle public. Je ne sais quel pouvoir il faudrait donner à un "jury de citoyens", mais celui-ci aurait au moins le mérite de rappeller aux "experts" ce volet de leur mission.
Et si bien souvent le profane ne peut suivre le détail technique, il peut largement comprendre les principes, les priorités, les directions. Et ça suffira déjà bien.
Jean-Yves Le Déaut est titulaire d'une maîtrise de biochimie, d'un DEA de biochimie, d'un doctorat de troisième cycle en biochimie, est docteur ès sciences et fut professeur de biochimie à l'université de Nancy où il dirigeait le laboratoire de biosciences de l'aliment. C'est bien la première fois que j'entends qualifier un scientifique de ce niveau de technocrate. Car je rappelle, si besoin est, à ce que j'ai compris, qu'il s'agit dans le projet de Ségolène Royal de faire contrôler par ses "jurys de citoyens" l'action des élus comme Jean-Yves Le Déaut, et pas de l'administration.
Quant à l'intérêt que la population porte à l'information qui lui est destinée, procédons à une observation simple : allons sur le blog de Thulip, et voyons en quels termes ses commentateurs expriment leur peur de l'incident nucléaire, sujet sur lequel ils affirment, non seulement n'avoir d'autre information que le bouche à oreille, mais être tellement inquiets à l'idée de seulement évoquer la sécurité de la centrale près de chez eux qu'ils n'osent même pas la nommer. Pourtant, comme je le précise en commentaire, il leur suffirait de se rendre sur le site de l'ASN pour prendre connaissance de la liste détaillée des incidents qui affectent régulièrement toutes les installations françaises utilisant des matériaux radioactifs.
Alors, qu'on ne vienne pas me dire que l'on est suffisamment compétent pour commenter sur un blog, et pas pour faire une recherche via un moteur qui fournit un résultat pertinent en une minute. Rendre l'information aussi accessible que possible pour des gens qui n'en veulent à aucun prix, parce qu'ils tiennent absolument à entretenir cette peur ancestrale qui, progrès aidant, se déplace de l'angoisse de la pénurie alimentaire à la peur du risque technologique et permet de se sentir si bien dans son statut de victime, c'est pisser dans un violon.
Ce satut, probablement (et inconsciement) chéri (merci, Denys, d'avoir débusqué ce ressort), de victime, n'est-il pas le résultat d'un système qui ne permet que peu la mobilité économique et sociale... s'il est impossible de fuir, reste donc l'imitation de l'autruche. Les jurys citoyens auraient cet avantage de mettre le lambda face à son ignorance, à une opportunité de se sortir, bien malgré lui, la tête du, hum, sable...
S'il est évident que ce n'est pas l'objectif premier des ségolistes (qui est plutôt de créer une ambiance citoyenne, type Club Med) il n'en demeure pas moins que cette expérimentation emporterai quelques effets secondaires pas inintéressants à observer.