Peut-être était-ce l'effet anesthésiant des lendemains de fêtes. Sans-doute, dans la vision angélique du libriste de base, l'assaut lancé par Oracle sur le fonds de commerce de RedHat pouvait-il passer pour un règlement de comptes entre capitalistes, le genre de chose qui ne saurait émouvoir le militant du code ouvert. Toujours est-il que l'annonce de ce coup n'a, par exemple, suscité aucune réaction chez Linuxfr, et la brève habituelle chez Toolinux, qui navigue un peu plus près des réalités du marché. Mais pendant la nuit, à Redmond, à ces assoupis, on a préparé un réveil en fanfare.

Novell, l'ancienne gloire des réseaux qui, laminé par Microsoft, cherchait péniblement à prendre pied sur le prometteur marché Linux après le rachat de la distribution allemande SuSE, vient en effet de signer un traité de paix avec son mortel ennemi. Comme tout traité bien négocié, il comprend un accord commercial puisque, aux points de contact - les machines virtuelles, un domaine que Novell, avec Xen, soigne particulièrement, les services web en général et d'annuaire en particulier où l'on sait, avec ActiveDirectory et eDirectory, que chacun a sa propre norme, les formats de documents OpenXML / OpenDocument - les deux éditeurs vont collaborer et assurer l'interopérabilité entre leurs systèmes, et un gage de bonne entente avec l'abandon de ces stériles querelles portant sur les brevets. Car entre personnes du même vieux monde de la grande entreprise, on peut bien plus facilement s'entendre qu'avec ces gueux de geeks sous leur chapeau rouge, d'autant que l'on dispose en commun de ce coûteux portefeuille de brevets qu'il serait bien dommage de gâcher là où il est si simple de s'en servir entre amis pour faire peser une mortelle menace sur ces nouveaux venus qui sont d'autant moins bien pourvus en la matière qu'ils refusent les règles de ce jeu.
Qu'adviendra-t-il de ma SuSE, ou plutôt de mon openSuSE dont l'accord ne dit mot, qui me sert fidèlement depuis tant d'années et grâce à laquelle mes lectrices et lecteurs, gens de goût et de culture, peuvent profiter, jusqu'à deux fois par semaine, de mes dernières méchancetés ? Le statu quo actuel, qui vaut aussi chez RedHat et transforme les utilisateurs individuels de ces distributions en testeurs de ces nouveautés qui, une fois fiabilisées, rejoindront les offres professionnelles, tiendra-t-il ? Ou l'existence même de ce marché gratuit, si réduit soit-il, se révèlera-t-il tellement attentatoire aux principes fondamentaux de Microsoft qu'il conviendra que le scandale cesse au plus tôt ? Et qu'en est-il des sujets dont on ne dit mot et qui risquent de fâcher, par exemple les spécifications de ses systèmes de fichiers que Microsoft protège si jalousement ?

Car l'accord entre Microsoft et Novell se fait entre pairs, mais pas entre égaux ; l'incomparable puissance de la bête de Redmond, avec laquelle on peut souper à condition d'utiliser une longue cuiller, fait de Microsoft le seul maître du jeu, et lui permettra, à tout moment, d'exercer sa propre lecture de la vieille maxime : if you can't beat them, buy them.