Ceux qui auront suivi avec attention tous les développements du passionnant roman-feuilleton de l'OPA de Mittal Steel sur Arcelor se souviendront sûrement de l'épisode Dofasco. Arraché après un dur et coûteux combat aux griffes du concurrent de toujours, Thyssen-Krupp, le sidérurgiste canadien venait tout juste de rejoindre le périmètre d'Arcelor lorsque Mittal a lancé son offensive. Dans l'arsenal mobilisé par Guy Dollé, le président d'Arcelor, pour sa contre-attaque figurait la création d'une structure ad hoc, une fondation de droit néerlandais dénommée Strategic Steel Stitching, forme à l'évidence choisie parce qu'elle permettait de faire ce qu'on désirait qu'elle fasse : être, durant les cinq ans de son existence, seule en mesure de décider du destin des parts de Dofasco. On a ainsi, en quelque sorte, mis le canadien à l'abri d'un coffre-fort dont on s'est empressé de perdre la clé.
On prendra la liberté de supposer que cette décision, sous son apparence rationnelle, répondait, au delà de l'expression de l'habitus du polytechnicien qui se lit clairement dans la dénonciation du caractère inamical de l'opération, à une rancoeur personnelle de Guy Dollé. Mittal avait en effet astucieusement, ou imprudemment, attendu le succès du rachat de Dofasco contre l'offre de Thyssen pour lancer son OPA sur Arcelor, en promettant de rétrocéder le canadien au sidérurgiste allemand à un prix inférieur à celui qu'avait consenti Arcelor. De la sorte, Guy Dollé ne se trouvait pas seulement avoir travaillé pour son concurrent germanique : le produit de la rétrocession allait permettre à Mittal de payer une partie de l'OPA qu'il lançait sur le groupe qu'il dirigeait. Ce n'est pas ainsi que l'on devient bons amis.

Mais la magie du capitalisme faisant son oeuvre, et réconciliant les pires ennemis autour d'une table pourvu qu'elle soit bien garnie, la fusion Arcelor-Mittal, qui vit le départ de Guy Dollé, privait donc Strategic Steel Stitching de sa raison d'être. Il devenait alors, pour tenir la promesse faite à Thyssen, mais aussi pour satisfaire les exigences américaines en matière de concurrence et réduire la place d'Arcelor-Mittal sur le marché nord-américain, impératif de vendre Dofasco à son promis de toujours, et, pour cela, d'obtenir de son conseil la dissolution de la fondation néerlandaise.
La demande, sans doute, n'a pas été formulée de manière suffisamment polie, puisque la réponse, rendue publique hier, est négative, ce qui plonge Arcelor-Mittal dans un embarras d'autant plus profond qu'il n'existe visiblement aucune porte dérobée permettant de passer outre la décision des administrateurs de la fondation. Et, sauf à imaginer que ceux-ci envisagent de faire monter les enchères pour leur propre compte, on peut parier que l'on vient d'assister là, dans un mouvement de toute beauté, au lancement de la flèche du Parthe de Guy Dollé.