Tu t'en souviens, de madame Roberto ? Cette vieille cinglée qui venait faire cours en chaussons, dont tu n'as jamais compris le bredouillis parce que, par obligation d'ordre alphabétique, elle t'avait placé au fond de la classe, et qu'ils avaient collée à faire du français aux 6èmeA parce qu'il fallait bien la caser quelque part et qu'ils pensaient sans doute qu'elle serait moins nocive dans les petites classes, avant de réussir à la faire mettre en cabane quelques années plus tard ? Et Lié, le prof d'histoire-géo que tu avais croisé au ski à Valberg juste avant de te casser la jambe comme un con, et qui, à ton retour en classe, t'avait flanqué zéro à un dessin où t'avais rien compris parce que tu l'avais recopié durant ton absence sur un copain qui n'avait rien compris non plus, histoire de bien montrer que les vacances étaient finies et que le chef, c'était lui ? Mais le cochonnet, c'était Benedetti, qui était revenu d'Afrique avec une amibe qu'il combattait en avalant sa Coramine Glucose à longueur de cours, et en passant la moitié de la terminale à l'hôpital, et qui, les fois où il était là à vendre les promesses de sa philosophie se la jouait à la Socrate en prenant les élèves à tour de rôle pendant la pause et, grave, inspiré, sentencieux, formulait un pronostic définitif sur tes chances de jamais accéder à la hauteur des vues qui l'habitaient.

Des profs comme ça, ces gens médiocres, routiniers, indifférents, arrivés là par défaut et pour la sécurité de l'emploi, les people, ils n'en ont jamais eu ou alors, pour la bonne cause, ils les ont opportunément oubliés préférant, de leurs années d'ennui scolaire, ne retenir, pour cette publicité du Ministère de l'éducation nationale à laquelle il prêtent, comme toujours, leur concours, que celle ou celui qui, sans doute à son corps défendant, sortait du lot. En cela, ils sont semblables aux spectateurs d'Etre et avoir, cette imposture qui, avec sa classe unique de petite commune rurale, veut faire croire à la survie de cet univers mort de la paysannerie traditionnelle, lesquels, tout à leur enchantement puéril, ne veulent pas discerner derrière ce stéréotype de l'instituteur d'antan le fonctionnaire en fin de carrière, encore amusé par les enfants mais impitoyable à l'égard de l'abruti qui, à douze ans, ne sait toujours pas compter et qui, plutôt que d'apprendre, préfère conduire le tracteur paternel. C'est que le cancre, en témoignant à la fois de l'échec de l'action éducative, et de son inutilité même, puisqu'elle ne lui fournit pas ce dont il a besoin et qu'il est parfaitement capable d'apprendre seul, au sein de sa famille, vient, en toute innocence, doublement contester la raison d'être du système dont l'instituteur est l'un des agents.

Les pétitionnaires, en participant à cette campagne pour l'instant publicitaire qui, loin de s'adresser aux usagers de l'éducation nationale, ne sert en réalité qu'à conforter dans l'esprit des enseignants l'image que l'on voudrait qu'ils aient d'eux-mêmes et à laquelle, sans doute, ils ne sont plus nombreux à croire, ne font que dévoiler combien leur position sociale doit en permanence s'accompagner d'une contrepartie symbolique par laquelle ils consolident la construction dont ils sont à la fois le produit, et les bénéficiaires. Mais, dans cette idée de donner le bon exemple, avec cette espèce de devoir tardivement rendu, donc dans la mise en scène complaisante d'une fiction qui n'est qu'un mensonge puisqu'elle se prétend vraie, ils se montrent tellement scolaires, et tellement vains.