En cette fin d'année, au moment précis où les blogs libéraux-libertariens disparaissent avec une telle unanimité qu'on peut se demander s'ils n'avaient pas formulé le voeu de ne pas survivre à Milton Friedman, il est d'usage, parfois avec vanité, parfois dans la plus grande discrétion, de faire le bilan du temps passé. Puisqu'on ne fait rien comme les autres on préfèrera offrir à ses fidèles lecteurs un avant-goût des soldes avec des bribes de billets qui, à cause de leur matière trop pauvre, et occupé qu'on est par des activités plus sérieuses et à plus longue portée, ne verront jamais le jour.

Ainsi, on peut revenir sur la décision n° 2006-543 du Conseil Constitutionnel en date du 30 novembre dernier, censurant partiellement la Loi relative au secteur de l'énergie. On ne va pourtant pas chasser sur les terres de la juri-blogosphère, que l'on sait redoutablement organisée, et qui n'a d'ailleurs pas manqué d'apporter ses commentaires sur la question, car le point intéressant et que très peu ont vu relève des conséquences sociales d'un des éléments de cette décision. Le Conseil, en effet, au nom de la conformité avec le droit européen, remet en cause à compter du 1er juillet prochain le maintien des tarifs administrés destinés au grand public, et cela aussi bien pour le gaz que pour l'électricité, au motif que la règle sera désormais la libre fixation du prix, liberté qui deviendra effective à chaque nouvelle ouverture de contrat et donc, pour les individus, à chaque emménagement. En décidant ainsi, le Conseil crée un nouveau droit acquis, le droit à fourniture d'énergie à un tarif préférentiel, dont continueront à profiter les contrats aujourd'hui en cours, et suscite une discrimination de fait entre ceux qui ne bougent pas de chez eux - les propriétaires, mais aussi les occupants illicites de logements sociaux, qui restent en place alors que leurs revenus ne justifient plus qu'ils bénéficient d'un loyer bonifié - et les autres, ordinaires locataires, socialement plus vulnérables, jeunes couples en mal d'établissement en particulier, déjà victimes des hausses de loyer. Et puisque le tarif administré ne se justifiera désormais plus que par les "obligations de service public", on ne prend guère de risque en supposant que celles-ci engloberont le maintien du privilège tarifaire dont jouissent les employés d'EDF et GDF. Car, tout le monde le sait, l'ouverture à la concurrence d'un marché où celle-ci n'est pas possible ne signifie rien d'autre qu'une uniformisation de l'offre, donc un alignement des tarifs sur le plus élevé, garantissant à EDF, dont les coûts de production comptent parmi les plus bas, de confortables marges de progression de sa rentabilité. En conséquence, entre le 30 novembre et le 13 décembre, l'action EDF a connu une hausse de 14,8 %, infirmant en cela, une fois de plus, les pronostics pessimistes des meilleurs analystes.

Sur l'inévitable conclusion de l'affaire Shakhaline 2, qui a vu Gazprom extorquer à Shell et à ses associés nippons la majorité des parts de la société d'investissement responsable d'un des plus lourds et des plus complexes projets d'exploitation pétrolière et gazière aujourd'hui en cours, on se contentera de noter l'exemplaire parcimonie avec laquelle Gazprom sait gérer l'argent public, puisqu'elle captera précisément 50 % des parts de la société, plus une. Et cette reprise en main de l'activité d'exploitation par une société publique locale fait écho au rapport Energie et géopolitique, rendu dans la plus grande indifférence le 29 novembre par la Commission des Affaires étrangères de l'Assemblée Nationale. Les presque 400 pages du rapport au format pdf, malgré un certain manque d'attention dans la relecture, un recours à une source peu fiable lorsqu'il s'agit de définir des termes techniques tel le pic de Hubbert, et une présentation assez fantaisiste, en annexe, des capacités des énergies alternatives, proposent une dissertation approfondie du plus haut intérêt, appuyée d'un considérable appareil statistique et cartographique, sur les enjeux économiques et politiques de la production d'hydrocarbures et montrent, une fois de plus, à quel point le parlement, Assemblée comme Sénat, dans ses trop rares publications, représente une source de premier choix en matière de documents de vulgarisation.