L'image est parue dans La Tribune du 28 novembre dernier ; fournie par l'agence REA, spécialiste du domaine économique, elle semble, sauf erreur, être l'oeuvre de Sébastien Ortola, ce que pourrait confirmer cette esthétique de la contre-plongée assez rare chez les photographes de presse que l'on retrouve sur la page qui est consacrée à son travail. La photo montre l'intérieur d'un véhicule utilitaire de petite taille, dont la porte de droite, coulissante, est ouverte. Cette caractéristique explique que le photographe ait pu se glisser à l'intérieur, et prendre la photo que personne ne fait, ou que personne ne diffuse : le contrechamp.
Puisque l'appareil est placé assez bas, l'image permet de hiérachiser précisément quatre plans successifs. On trouve d'abord, occultant une grande partie de la perspective, une douzaine de cartons d'une trentaine de centimètres de côté, du genre couramment utilisé pour transporter des archives. Dans l'encadrement du hayon du véhicule, on voit ensuite Alain Bazot, le président d'UFC-Que Choisir, hilare, soigneusement vêtu d'un costume-cravate là où on lui connaît généralement des tenues plus décontractées, emporter l'un de ces cartons. La scène est suivie par deux cameramen, dont l'un est assisté d'un preneur de son, aux commandes de ces camescopes professionnels qui équipent les télévisions nationales et les agences de presse internationale, par un, voire deux journalistes employant ces camescopes grand public caractéristiques des chaînes aux moyens plus limités, et par au moins un photographe. Et à l'arrière-plan, on devine le portail du Tribunal de commerce de Paris, où le président de l'association consumériste vient déposer les textes des 12 000 plaintes reçues de ses adhérents contre les opérateurs de téléphonie mobile.

Chacune des strates de cette photo renvoie à une situation sociale distincte, et à un public spécifique. Le plus fourni, celui que l'on ne voit pas, est dans les cartons : les adhérents de l'UFC qui ont participé à la campagne de leur association. L'autre absent, le législateur à qui s'adresse cette mise en scène qui vise à forcer l'adaptation au droit français de cette action collective qui verra bientôt le jour, et en l'absence de laquelle on se voit contraint d'encombrer les bureaux de montagnes de plaintes individuelles, se devine derrière les portes du Tribunal. Les derniers anonymes, à peine masqués derrière leurs objectifs, leurs viseurs et leurs oeilletons, marquent, par leur nombre comme par les moyens techniques qu'ils mettent en oeuvre, l'intérêt que leurs employeurs portent au spectacle que leur propose le dernier intervenant, le seul que l'on reconnaisse, Alain Bazot, président depuis trois ans de Que Choisir et sous l'impulsion duquel ce groupe dont on a déjà évoqué les caractéristiques sociales a rejoint les rangs des entrepreneurs de morale écologiste, participant désormais à des actions qui rassemblent l'ensemble de la mouvance sans pour autant qu'on puisse y trouver le moindre lien avec le consumérisme.
Au fond, cette image est un procès, celui qu'elle montre, et pas celui qu'elle illustre. Dans sa mise en perspective, le photographe met au jour cette relation dans laquelle la presse grand public offre un espace entièrement consacré à l'expression de ces entrepreneurs, dans lequel ceux-ci peuvent diffuser l'information qui leur convient pour peu qu'elle soit fournie, non pas seulement sous la forme de ces images en l'absence desquelles, dit le poncif, il n'y a pas de télévision, mais sous celle d'un spectacle. Et puisque le recul du photographe suffit à faire voir toute la scène, celle que les autres montrent, et celle qu'ils cachent, il n'y a rien d'étonnant à la retrouver uniquement dans les pages de la presse économique, puisqu'elle ne joue pas le même jeu.