Même si, par la profusion de matières, de supports, de situations qui forment une des spécificités de son oeuvre, Yves Klein n'est pas l'artiste le plus facile à exposer, la tâche n'a malgré tout rien d'insurmontable. En dépit de sa radicale originalité, une grande partie de son travail se présente sous la forme des ces rectangles posés sur un quadrilatère de bois dont la taille demeure tout à fait maniable et que l'on appelle des tableaux ; le reste, plus immatériel, a fait l'objet de quantité d'enregistrements sonores, photographiques et cinématographiques, qu'il suffit donc de reproduire à l'aide des moyens techniques adéquats. Autant dire que l'échec lamentable de l'exposition que lui a consacré le Centre Pompidou semble presque relever du sabotage.

D'abord, on n'y voit rien. Impossible de comprendre pourquoi, sauf volonté d'empêcher de relever les détails des monochromes, l'intensité lumineuse est si faible ; les monochromes, ceux du moins qui n'ont pas été réalisés avec des éponges, se trouvent ainsi privés de tout relief. Comme, malgré tout, ils sont souvent présentés sous verre et à bonne distance du bras du vandale, donc des yeux de l'amateur, l'impression qu'on en retire ne vaut pas celle d'une bonne reproduction. Ensuite, si l'on ne peut pas s'avancer, on n'a pas, non plus de recul : à une exception près, les salles sont si minuscules que leur surface ne doit guère dépasser celle des oeuvres qui y sont installées.
Avec les archives cinématographiques, c'est pire. C'est que le matériau, varié et abondant pour le cas d'Yves Klein, ne saurait malgré tout prétendre au respect que l'on doit à l'intégrité de l'oeuvre d'art. Là, en quelque sorte, on n'a que de la matière, et carte blanche : on peut charcuter sans contrainte, prendre des bouts d'origines diverses, retailler, recadrer, sous-titrer, commenter, rajouter de la transition et de l'image fractionnée, et livrer un des ces audiovisuels par lesquels le fonctionnaire de la culture se venge de n'être que cela et de ne rien produire d'autre. Projeter le tout sur des écrans faiblement réfléchissants, que l'on a eu l'idée géniale de placer au centre des salles, pour voir l'image à l'endroit, et à l'envers, avec un video projecteur d'entreprise à la luminosité pitoyable achève le forfait. Comment les couleurs du gaz en flammes pourraient-elles résister à cette extinction ?
La dernière salle, vaste, avec ses pièces uniques - le portrait-relief d'Arman, l'ex-voto à Sainte Rita - apparaît alors comme un remords, comme une suggestion de ce que les auteurs de l'exposition auraient aimé qu'elle soit. Mais elle n'est pas : sa fonction n'est pas de présentation, mais de pédagogie, comme en témoignent à la fois cette signalétique destinée aux enfants et, pour le malheur du visiteur, ces groupes de collégiens sagement assis, et qu'il faut enjamber, regroupés autour de leur péremptoire mentor, qu'on aimerait tant pouvoir faire taire. C'est qu'on est à l'école, ici, pour le musée, il faut aller regarder ailleurs, avenue de New-York, par exemple.

On se dirait bien qu'on aura d'autres opportunités de revoir ces oeuvres, mais on sait bien que c'est faux. Plus de quarante ans après sa mort, il ne reste de la première rétrospective Yves Klein que le souvenir d'un travail vain, d'une occasion perdue, d'une déception inexcusable. L'art le plus exceptionnel, le plus inventif, le plus personnel, le plus radical, le plus provoquant, ne sert donc aujourd'hui, accroché par les fonctionnaires du Centre, qu'à contenter les profs et ennuyer les enfants ; plus que de bleu Klein, les coupables de la chose, qui n'en sont pas nécessairement les organisateurs, méritent d'être enduits de goudron et de plumes.