Sur le papier, et sur les plans, l'opération s'annonçait exemplaire. Le programme de rénovation de la piscine municipale, construite en 1968, équipée d'un bassin sportif où l'on n'a pas pied, flanqué d'un côté d'une pataugeoire et de l'autre d'une fosse munie d'un impressionant plongeoir, devait réduire au minimum la gêne occasionnée aux usagers. Il était prévu de commencer les travaux sans pour autant fermer les bassins, grâce à un ingénieux échaffaudage permettant de travailler, sans risque, au-dessus des nageurs. Une courte période de fermeture, incluant le mois d'août, aurait ensuite suffi à terminer l'ouvrage. Dans la réalité, la piscine rénovée vient, six mois plus tard, tout juste d'accueillir ses premiers visiteurs ; la comparaison avant-après qui s'impose alors révèle, sans camouflage possible, la progression, en quarante ans, de ce paternalisme infantilisant dans lequel, sans une seconde solliciter leur avis, la puissance publique enferme les citoyens.

Car si l'essentiel, le bassin pour sportifs, est conservé en l'état, si le travail modeste et intelligent des architectes a, sur cette grande facade vitrée orientée plein sud, entraîné la pose de brise-soleil aussi simples qu'indispensables, si les locaux, aux murs lisses, peints en blanc et attendant donc l'expression de la créativité murale des vandales subventionnés, pardon, des enfants des écoles, sentent le neuf, si, comme on pouvait le craindre, on n'a pas touché aux douches puisque cela avait été fait lors de travaux précédents, et qu'elles sont donc toujours glacées, les deux innovations majeures portent sur l'accès aux handicapés moteurs, et sur la fosse à plongeon.

Comme tous les "établissements recevant du public", la piscine est soumise au Décret n°2006-555 de la Loi du 11 février 2005, cette bombe à retardement qui produira progressivement ses effets d'ici 2015 ; en conséquence, son accès peut s'effectuer désormais, en plus du traditionnel escalier, par une rampe, dispositif simple et peu coûteux qui permet ensuite, en empruntant les locaux techniques, de se retrouver au bord des bassins. Là, deux dispositifs de mise à l'eau ont été installés, dont le premier, relativement élémentaire, requiert une intervention extérieure. Le second, déjà relégué dans un coin comme si l'on prévoyait ne jamais avoir à s'en servir, est une sorte de volumineux chariot à pantographe visiblement destiné à être manipulé par un handicapé, et par lui seul. Il répond, en d'autres termes, non pas tant à une revendication d'égalité dans l'accès aux équipements sportifs, que les simples dispositifs déjà évoqués assurent parfaitement, mais à celle d'un accès autonome, niant donc la réalité d'un handicap souvent accidentel, et permettant fictivement de retrouver l'autonomie alors perdue.
Pourtant, on ne prend guère de risques en pariant que ce chariot, faute d'utilisateur, faute de sécurité dans son utilisation, puisque l'on imagine les conséquences d'une fausse manoeuvre avec un outil pesant plusieurs centaines de kilos en mouvement à la lisière d'un bassin, ne sera jamais employé. Il ne servira qu'à assurer une confortable rente de situation à son constructeur, et, bien dans la ligne de la concurrence au sentimentalisme démagogique de mise aujourd'hui, à affirmer cette solidarité collective à ceux qui s'en montrent dignes et aux frais des générations futures, étant entendu que les autres, les incorrigibles, pourtant tout autant handicapés moteurs, devront se débrouiller seuls pour assurer leur autonomie.

A la fosse à plongeon, on n'a rien ajouté : on l'a, au contraire, privée de l'objet qui justifiait son existence, le plongeoir. Et l'on ne s'est pas contenté de supprimer, avec, on le suppose, bien des difficultés, la pyramide de béton pesant plusieurs tonnes qui pointait vers le ciel et supportait les tremplins : on a même enlevé tout espèce de tremplin, si modeste soit-il. On ne versera pas dans la psychanalyse de bazar en évoquant une émasculation mais, quand même, il y a de ça. Enlevez le tremplin, vous supprimerez à la fois l'intérêt de la fosse, et le danger aujourd'hui inacceptable de la pratique sportive du plongeon. Du coup, la rambarde qui courait le long du bassin a, elle aussi, disparu, sans doute pour bien montrer comment, désormais, la chose était devenue inoffensive ; alors, faute de tremplin, on saute à l'eau par l'un de ces petits toboggans que l'on trouve dans les jardins d'enfants. Et même si la vue peut tromper, il semble bien que la fosse elle-même n'ait pas changé, et que le fond s'y trouve toujours à plusieurs mètres de profondeur. Le bambin qui s'y aventurerait d'autant plus facilement qu'aucune barrière de l'en empêche désormais éprouverait donc quelques difficultés à y avoir pied, et la piscine est ainsi devenue l'endroit idéal pour noyer son nouveau-né.