L'opération paraît tellement banale qu'elle ne surprend personne. Avec la régularité d'un institut de sondage, l'Alliance pour la planète, dont la notoriété procède de son dernier coup d'éclat, l'extinction des lumières au soir du 1er février, publie désormais chaque lundi le classement, noté sur 20, qu'elle attribue aux candidats à l'élection présidentielle en fonction de l'attention que leur programme accorde à l'écologie. En agissant de la sorte, cette sorte de comité d'action regroupant un vivier d'organisations écologistes dont le nombre comme la diversité donnent à penser que cet éco-système là, au moins, est en pleine forme, procède à une bonne quantité de coups de force symboliques.
Le premier d'entre eux se voit dans ce recours à la dimension scolaire de la note, laquelle varie entre le 16,5/20 par lequel on récompense le bon élève qui mérite, mais de justesse, d'ou le demi-point qui montre combien l'on sait être à la fois précis et impartial, la mention très bien, et le 5/20 qui pénalise les cancres sans pour autant les désespérer comme l'aurait fait, à un point près, une relégation dans le territoire des nuls. On saisit facilement l'astuce : les donneurs de notes, en utilisant la procédure de sanction propre à l'appareil scolaire, en copiant jusqu'au plus infime détail, avec ce demi-point qui fait vrai, son mode de fonctionnement, espèrent, par contrecoup, disposer de la légitimité que l'on accorde à l'école, lorsqu'elle sanctionne le travail des élèves qui lui sont imprudemment confiés.

Mais ce jugement auquel l'Alliance procède diffère totalement de la pratique à laquelle tout un chacun, en donnant sur son blog comme sur celui des autres une opinion, un commentaire, une analyse, peut se livrer. Car si l'opinion est libre et n'engage que son auteur, le jugement implique à la fois de disposer d'éléments de référence, loi, règlement, accord, guide de bonnes pratiques, et d'être investi de l'autorité légitime pour faire appliquer les références en question. Or, ce que l'on juge, ici, c'est la proximité des programmes avec les "priorités déclinées dans les 24 mesures de l'Alliance pour la planète" : celle-ci a donc, d'autorité, bâti à la fois sa propre échelle, décidé que celle-ci ferait référence, et décerné un label de conformité à des partis politiques, institutions contre lesquelles, par ailleurs, il lui est difficile de faire valoir la moindre légitimité.
Dans la classe politique, en effet, seuls deux élèves méritent la mention "très bien" : Dominique Voynet pour Les Verts et Corinne Lepage avec Cap 21. Il n'échappera à personne que l'on trouve là les deux seuls candidats revendiquant une appartenance à la mouvance écologiste. Alors, tirons un sondage au hasard : pour l'instant, le baromètre TNS-Sofres leur attribue au total 1,5 % des intentions de vote ; en d'autres termes, question légitimité, parmi les treize candidats du sondage, seuls Nicolas Dupont-Aignan et Frédéric Nihous font pire. L'Alliance ne représente donc qu'elle-même, tandis que les candidats qu'elle soutient ne représentent rien.

On commence à y voir clair, d'autant que, si le discours lui-même, dans sa vacuité et son conformisme, ne nous apprend rien, l'identité de ceux qui le tiennent ouvre une piste : au générique, l'on retrouve les noms du directeur artistique de Canal +, ou d'un chef de projet de l'agence Publicis. L'équipe a réalisé un "video-podcast", "le rouleau de Papyrus de la peur", un titre qui tient à la fois du canular étudiant, de la bande dessinée pour enfants, et de la facile référence hollywoodienne. Bien loin du téléphone-stylo de Mémoire Vive, ce podcast a mobilisé une équipe de huit personnes, avec un OPV, un OPS et son assistant ; pour ceux qui savent lire ce genre de détail, l'emploi mécanique des acronymes par lesquels feue l'ORTF désignait ce qui n'est plus désormais qu'un cameraman ou un preneur de son dévoile une production habituée aux films d'entreprise.

La première génération de eco-guerriers puisait ses maigres effectifs dans un vivier d'activistes rigides, souvent d'origine scientifique et universitaire. Avec l'Alliance, le geste devient superficiel et de bon goût, le militantisme aisé et sans risque. Puisque ce n'est qu'un jeu, on n'éprouvera nulle contradiction entre des activités professionnelles qui visent à faire consommer un maximum de choses à un maximum de gens, et un militantisme de façade et du vendredi soir. Après tout, si la planète est en danger, c'est bien à cause de la place qu'y prennent ces masses aveugles, de plus en plus nombreuses et périphériques, desquelles on se distingue socialement, intellectuellement, et pécuniairement, et que l'on peut sans remords accuser de détruire cet espace malheureusement commun dont on avait jusqu'à présent la jouissance exclusive. Alors, inutile de relire son Boltanski pour voir dans l'action de cette Alliance l'expression la plus ordinaire de la distinction et du mépris de classe.