sauvons nos sorties
Le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006, complété de l'arrêté du 7 août 2006 et de la circulaire du 27 novembre 2006 modifie les dispositions antérieures relatives aux concentrations, sur la voie publique, de véhicules à moteur. On y définit l'objet du délit comme "un rassemblement comportant la participation de véhicules terrestres à moteur, qui se déroule sur la voie publique dans le respect du code de la route, qui impose aux participants un ou plusieurs points de rassemblement ou de passage et qui est dépourvu de tout classement". Dans la mesure où cette réunion regroupe moins de 400 motos, elle est désormais soumise à déclaration, laquelle impose de respecter un délai minimal de deux mois pour adresser en trois exemplaires un dossier détaillé à la préfecture de chaque département traversé. Au-delà de 400 participants, on tombe dans le régime plus strict de la manifestation, soumise à autorisation ; mais comme le décret ne précise pas de minimum, on en déduira qu'il y a concentration dès lors que l'on est au moins deux. Alors, quand Little Bob et Gros Raoul, qui jouissent paisiblement de leur retraite SNCF se donnent, comme chaque 15 août depuis des années, rendez-vous sur l'aire de Morainvilliers pour faire route commune vers leur villégiature estivale de Courseulles-sur-Mer, ils se doivent désormais de déclarer leur trajet en préfecture, en n'omettant pas de préciser les nombreux arrêts pipi auxquels, l'âge venant, les contraint le délabrement de leur système génito-urinaire.
L'argument, bien sûr, est spécieux, et le Ministère de l'Intérieur ne vise nullement à perturber les loisirs de paisibles retraités ; son décret, il l'affirme, ne concerne que les manifestations sportives. Sauf que, comme l'explique l'appel au bon sens envoyé par un groupe constitué pour l'occasion au Ministre de l'Intérieur, le décret du 16 mai 2006 n'a évidemment fait que modifier des dispositions antérieures, et sur deux points fondamentaux : la limite inférieure, 50, puis 20 véhicules, à partir de laquelle la
déclaration devient obligatoire, a disparu, tout comme le caractère exclusivement sportif de la manifestation concernée. On murmure que cette extension délibérée d'une obligation propre aux professionnels à des citoyens ordinaires, et qui les concerne bel et bien dans leurs promenades dominicales, comme celles que, avec le retour des beaux jours, des groupes de motards extrêmement divers, en nombre indéfini, souvent sans autre raison sociale qu'un forum Internet, organisent en masse, dans le plus strict respect du code de la route, et selon des modalités qui correspondent trait pour trait aux termes du décret, vise à réprimer des comportements nouveaux, rares et extrêmement particuliers, comme ces courses clandestines auxquelles des étrangers possesseurs de voitures de sport se livreraient sur autoroute à travers la France.
Il est on ne peut plus caractéristique du fonctionnement de l'État que de fabriquer un délit sur mesure pour réprimer des agissements rarissimes qui n'attentent
à pas grand'chose d'autre qu'à la conception que ce même État a de sa dignité. Et l'État ne se soucie guère, pour restaurer cette autorité bafouée, de faire basculer les pratiques de centaines de milliers de citoyens dans une zone grise où leurs loisirs deviendront formellement illégaux, seront potentiellement soumis à de lourdes sanctions, et où il leur faudra compter sur la bonne volonté des forces de l'ordre pour continuer à jouir de ces libertés abolies par décret.
Alors que faire, disait Versac ? Justement, ça. Avec la fin d'une législature vient l'heure des bilans. Faisons-donc celui de la production réglementaire des cinq dernières années, en prenant en compte ses plus infimes détails, dans le but d'établir un état général de l'évolution des libertés individuelles. Dans quelle mesure les pratiques ordinaires des citoyens quelconques ont-elles, durant la période, connu des restrictions significatives ? Avec le décret cité plus haut, avec le renforcement de la répression concernant la puissance des motos, avec la circulaire Olin, depuis lors partiellement censurée par le Conseil d'Etat, on en compte, malgré le faible périmètre du domaine en question, déjà trois. D'autres, dans des secteurs encore plus restreints, dévoilent des interdictions similaires. On peut parier qu'un recensement global, grâce à l'expertise de chacun, permettra d'en établir un état complet et détaillé et qui, dans la comparaison avant / après, sous l'angle des contraintes pesant sur les libertés de chacun dans ses activités banales, a toutes les chances de se révéler accablant.
Commentaires
(* message subliminal : //DADVSI// *)
Le Droit est un instrument mal fichu qui tente de créer des catégories dans lesquelles les individus sont censés s'incarner. Le texte relatif aux concentration de véhicule (je n'ose employer des guillemets) ne trouvera pas à s'appliquer aux grands week-end de départ en vacances. Il ne s'adresse pas aux gentils bénéficiaires de congés-payés, mais aux méchants qui osent utiliser des routes faites pour circuler à une activité particulièrement dangereuse: circuler pour le plaisir en prenant parfoi, en outre, des risques inconsidérés.
Mais les gentils et les méchants ne sont pas des catégories juridiques en tant que telles et l'on se trouve confronté à des textes aussi maladroits.
Certes le Juge sait appliquer de telles règles pour condamner celui que l'administration ou le législateur vise implicitement, mais cela implique une confiance (dé)placée dans l'autorité judiciaire qui m'inquiète un peu: notre Droit contient un grand nombre de dispositions qui, appliquées sans libéralisme, remettrait en cause ce qui reste à mon sens le pilier essentiel de notre démocratie, j'entends par là non pas le suffrage universel mais les libertés publiques (ici la liberté de circulation et de réunion). Tout cela à cause de l'incapacité ontologique de distinguer clairement un gentil qui peut pourtant prétendre à toute la mansuétude de la Loi, d'un méchant qu'un glaive vengeur doit châtier.
Absolument. Mais la question n'est pas tant de constater l'existence de ces zones où seule la tolérance empêche la répression - ce n'est sans doute pas une pratique neuve - que de savoir si, comme je le suppose, celles-ci ont été sciemment et considérablement élargies dans les années récentes. Et DADVSI, qui cherche après tout à réprimer une pratique dont ceux qui s'y adonnent savent parfaitement qu'elle est illégale - comme les clients du marché de Vintimille avec leurs faux Vuitton à trois sous qui jouent les naïfs en se faisant prendre par la douane à leur retour - me semble à ce titre moins significative que, par exemple, la très orwellienne LCEN.
La tragique absence du PS sur la question du bilan du gouvernement sortant, notamment sur la question des libertés individuelles, serait plus évidente et plus visible aux yeux de l'électorat si ce travail n'était pas fait.
Les libertés perdues se reconquièront d'autant plus aisément que cette reconquête se fera avec les plus motivés..
L'apprentissage obligatoire de la Marseille promu par le député Jérôme Rivière, proche de l'extrème droite et largement soutenu à l'assemblée compte ?
Ici aussi, aucune voix ne s'est à ma connaissance élevée au PS sur ce sujet.
"Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, qui remplaçait Nicolas Sarkozy lors de la signature de l'accord avec les ministres européens de l'intérieur, avait de son côté surpris ses collègues en déclarant que les citoyens seraient mieux protégés si leurs données ADN étaient recueillies dès leur naissance."
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