First Contact, réalisé en 1983 par Bob Connolly et sa compagne prématurément disparue, Robin Anderson, est le fruit d'une situation à double titre unique dans l'histoire de l'ethnographie : les chercheurs d'or australiens qui ont découvert dans les années trente des populations ignorées sur les hauts-plateaux de ce qui est aujourd'hui la Papouasie - Nouvelle Guinée avaient emporté avec eux une caméra. Ainsi, certains aspects de cette exceptionnelle, dans sa rareté comme dans sa nouveauté, situation de premier contact ont été filmés et, avec ces archives, et les témoignages des survivants, papous comme australiens, le couple d'ethnologues-cinéastes a pu produire le premier volet de ce que l'on appelle aujourd'hui Highlands Trilogy, une oeuvre déterminante dans l'histoire du cinéma documentaire.
Suivront en 1983 Joe Leahy's Neighbours, qui décrit la difficile cohabitation entre Joe Leahy, propriétaire foncier, métis fils d'un des colons australiens, et ses voisins, ces Ganiga qui interprètent de manière bien différente la notion de propriété privée, et, surtout, en 1992, l'incomparable Black Harvest, dense précipité de toutes les contradictions qui traversent une société traditionnelle s'ouvrant au commerce mondial du café sans pouvoir renoncer aux vieux démons des guerres intestines, et d'où émerge, entre Joe Leahy, le "chef pour tout ce qui est moderne" et le chef de guerre momentanément réduit à l'inaction, l'extraordinaire figure du chef coutumier, Popina Mai, s'épuisant avec une complète abnégation dans cet exercice par lequel il cherchera, finalement en vain, à maintenir la paix dans sa communauté, et à l'accompagner vers cette évolution aussi inévitable qu'incompréhensible, et qui donne à penser que les Ganiga ne mesurent pas leur chance d'avoir des hommes politiques de cette dimension-là.

Ce n'est pas comme ça qu'Annick aime les papous, dans ce portrait publié dans le quotidien du soir et repéré par l'oeil d'aigle du capitaine. Ramenés en France à titre de "remerciement pour leur accueil" par un photographe, objets d'un documentaire produit par Canal +, les papous d'Annick sont là pour faire terre lointaine, plus mystérieuse encore que ce désert yéménite où il arrive, suprême frisson, que l'on se fasse enlever, plus inaccessible même que les expéditions sur la banquise arctique. Montesquieu en bas bleus, Annick tenait là une bonne histoire, prête à servir, même si on la sent un peu déçue d'apprendre que ces papous jadis antropophages sont chrétiens, à laquelle il suffisait d'ajouter ce petit fil d'autodérision pour faire litière des inévitables accusations d'ethnocentrisme, et qui lui permet de servir cette conclusion rassurante : ces autres si lointains ne sont pas si différents et, même s'ils ne savent pas écrire et n'ont pas encore appris l'anglais, ils ont, malgré la déplorable influence de ces maudits missionnaires, conservé le regard neuf et le pur bon sens des âmes simples.

Pourtant, sur les hauts-plateaux de Papouasie, en fait de sauvages, on trouvera essentiellement les cultivateurs de cet arabica mondialement réputé et en vente dans tous les supermarchés. Ces farouches guerriers aux tenues si pittoresques peuvent réinvestir les profits de leurs cultures d'exportation dans la quinzaine de valeurs cotées à la bourse locale, en évitant toutefois d'aller se perdre au milieu des 250 000 habitants de Port Moresby, capitale à la détestable réputation.
Le bon sauvage, depuis ces Tristes Tropiques que décrivait Claude Levi-Strauss voilà plus de cinquante ans, se réduit à un pauvre fantasme d'occidental ignorant, réinventant une virginité à jamais envolée dans laquelle ne se lit nécessairement rien d'autre que le plus imbécile des ethnocentrismes, celui qui regrette pour l'autre son paradis perdu et, à l'image du tenant du commerce équitable, souhaite sans doute secrètement qu'un jour les tribus soient préservées et enfermées comme autant d'espèces à protéger, elles qui peuvent seules et dans leur état originel justifier la poursuite du commerce déprécié de l'exotisme.