Le monde politique se montre bien cruel à l'égard du blogueur sarcastique. On savait depuis quelque temps que Nicolas Sarkozy quitterait à la fin mars son poste de Ministre de l'Intérieur. Pour le remplacer, on ne pouvait rêver meilleur candidat que son fidèle lieutenant, le niçois Christian Estrosi. Et l'on se réjouissait d'avance de la formidable opportunité ainsi offerte, des jeux de mots à répétition que permettrait la carrière professionnelle de celui qui, conseiller municipal de Nice avant de devenir député des Alpes-Maritimes, n'avait coiffé la casquette du politique qu'en abandonnant son casque intégral de, comme le dit pudiquement sa présentation officielle, "sportif de haut niveau".

Car avant Christian Estrosi le politique, député UMP devenu ministre délégué à l'Aménagement du territoire en grande partie, semble-t-il, grâce à son association précoce avec Nicolas Sarkozy, il y eu Estro le pilote, qui construisit pendant dix ans, de 1972 à 1983, de la 250 de la coupe Kawaski à cette célèbre 250 Pernod grâce à laquelle Jacques Bolle, actuel Vice-Président de la FFM, remporta le Grand Prix de Grande-Bretagne en direct sur la télévision du service public, au grand désespoir des commentateurs qui s'épuisèrent en périphrases pour ne pas citer le nom que tout le monde lisait, inscrit en bleu sur la moto jaune, en passant par l'endurance, la 500, et la 750 qui lui donna ses seules victoires dans un éphémère Championnat du Monde, sa renommée au milieu des légendes du Continental Circus. De cette époque, il reste quelques photos qui témoignent d'un cheveu déjà abondant mais, moment oblige, nettement moins discipliné que sa précise coupe de ministre, et des souvenirs toujours vivaces, au point de le voir, une fois l'an, réendosser son cuir et retrouver les machines de sa jeunesse grâce à sa participation aux Coupes Moto Légende.

A ce profil fort peu banal d'autodidacte le pouvoir préfère donc, pour l'Intérieur, la jeunesse lisse d'un François Baroin, qui accumulait les diplômes à l'âge où l'autre écumait les circuits. Pour une fois, sans doute, son allégeance à Nicolas Sarkozy entrave la poursuite de la carrière d'Estro : une fois libérée la place que l'ancien ministre de l'Intérieur garda jalousement jusqu'au tout dernier moment, il eut été dommage, avec le sentiment sincère qui unit le Président sur le départ à son désormais officiel dauphin, de la laisser aux mains du même clan. Ainsi, celui qui passa sa jeunesse à faire l'intérieur à ses concurrents se trouve aujourd'hui privé du portefeuille éponyme.
Mais après tout, le vieux renard des circuits n'a peut-être pas tiré sa dernière cartouche. Réussira-t-il, dans la dernière ligne droite, et sur le tapis vert, à taxer le chouchou du Président avant la ligne d'arrivée, lors de la passation des pouvoirs du 26 mars ? Gaz, Estro !