L'ordinaire scolaire n'étant fait que d'ennui et de répétition, on avait vite pris le pli : à chaque rentrée, à chaque automne, venait la rédaction rituelle où l'on était prié de s'extasier, lisiblement et sans fautes d'orthographe, sur le magnifique spectacle, avec ces feuilles entre rouge et brun, que la nature généreuse dispensait dans un dernier flamboiement, avant de revêtir sa triste parure hivernale d'arbres dénudés. Inévitablement, on abordait en même temps le volet travaux pratiques, section sciences naturelles, en ramassant les feuilles en question pour fabriquer un herbier. Et tous les ans, c'était la même chose : on enviait celui qui, grâce à une petite incursion dans l'arrière-pays, avait mis la main sur un marronnier ; tous les autres, en fait d'herbier, se contentaient de leur unique feuille de platane.
Car chez moi, à Antibes, dans les Alpes-Maritimes, les arbres ne perdent par leurs feuilles en hiver. Chez moi, on trouve profusion de conifères, du cyprès si symbolique aux diverses espèces de pins, mais aussi des chênes, des arbousiers, des eucalyptus, et l'olivier éternel, mais, en fait de feuilles caduques, ce platane laid, banal, urbain, juste bon à faire de l'ombre en été, et lui seul. Naturellement, cela ne troublait pas l'institutrice imbécile, qui avait un programme à respecter, elle. Et tous les ans, on recommençait. Alors, le doute s'installe : qui a raison, la nature que j'ai sous les yeux, ou l'Éducation Nationale ? Et quel est donc ce pays dont on me parle à l'école mais qui n'est pas le mien, puisqu'il semble que les arbres de ce pays-là, que je ne connais pas, perdent leurs feuilles en hiver ?

On sait comment le doute se soigne : par la contrainte. Puisque la nation qu'on vous impose ne se conçoit qu'une, indivisible, et uniforme, il faut, dans ces endroits où les arbres sont contre, choisir son camp : la discipline et le compromis, ou bien cette remise en cause permanente de ce qui va de soi, qui définit l'attitude du scientifique, l'ennemi juré du politique.
La candidate du parti de la gauche internationaliste et réformatrice vient, elle, de choisir l'autre bord, celui qui n'est jamais très loin du "love it or leave it" que recommandent sans nuances les adorateurs d'une bannière qu'ils ont l'habitude, pour nous totalement exotique, de laisser exposée en façade. Difficile, pour cette gauche, de trouver sujet plus inhabituel que l'hommage dû au drapeau. Impossible, par conséquent, de dévoiler de manière plus transparente le cheminement d'une idée qui doit tout à Nicolas Sarkozy, et qui ne procède que de la volonté de trouver, dans l'urgence, une manière, n'importe laquelle, de ne pas lui abandonner ce terrain-là. Cette candidate qui s'essaye, une fois de plus, aux inflexions surannées de la rhétorique gaullienne va, isolée, de sa propre inititiative, combattre son adversaire sur son terrain et, donc, y connaître inévitablement une double défaite, à la fois parce qu'elle lui reconnaît ainsi une légitimité qu'elle n'a aucun moyen de contester, et parce qu'elle l'on n'ose même plus, à la mesquinerie cocardière, opposer cet idéal pacifiste et internationaliste pourtant inscrit dans l'histoire du parti.

En dehors du cercle des militants et des électeurs de sa région, on ne connaissait presque rien de cette candidate dont, à l'origine, la notoriété découlait pour l'essentiel de celle du premier secrétaire ; il lui appartenait donc de remplir, à sa convenance, ce vide. Mais ses propos, ses attitudes, ses improvisations, ses incongruités, et les commentaires assassins des ses adversaires, construisent progressivement un portrait qui, morceau par morceau, s'efface à mesure qu'on s'en rapproche et qu'on tente d'en saisir le sens, exactement comme un mirage. Au parti, dans l'entourage, par résignation, on ne se soucie sans doute même plus de ce que l'on devra encore, pendant quelques semaines, avaler, couleuvres, chapeaux et, maintenant, le drapeau avec sa hampe.