Un temps, on a pu se croire revenu à l'époque du gaullisme triomphant, dans l'unanimité retrouvée de feue l'ORTF, avec cette retransmission en direct par les deux principales chaînes de l'ex-service public de la tentative réussie de la SNCF et d'Alstom pour établir un nouveau record du monde de vitesse sur rail en utilisant des techniques conventionnelles. Sans nul doute, c'était impressionnant, au point de justifier l'hyperbole du journaliste de France 2 qui faisait de la rame du record "pour ainsi dire une fusée sur terre". Et on en viendrait presque à regretter cette posture systématiquement critique qui fait toute l'originalité de ce petit carnet. Dur métier.

Malheureusement, la rationalité avec ses deux chiens de garde, l'histoire et la comparaison, forcent à modérer la portée du record d'un monde qui se réduit en fait à un cercle extrêmement fermé : depuis 1955, à l'exception d'une brève parenthèse allemande de deux ans, entre 1988 et 1990, le fanion de la grande vitesse est toujours resté français. Le record précédent a été "pulvérisé" de 12 %, et il avait été établi voilà dix-sept ans. En d'autres termes, en fait de performance technique, on a surtout l'impression d'assister aux derniers éclats d'une technologie à maturité, et qui, en matière de vitesse pure, reste moins performante que celle des trains à sustentation magnétique. La rame du record présentait pourtant un intérêt technologique que presque personne n'a relevé, puisque le système de propulsion utilisait deux bogies issues de l'AGV, qui, pour reprendre les termes d'Alstom, complètera la gamme de trains à grande vitesse par des automotrices de plus faible capacité. Des TGV pour le réseau secondaire, en somme.

De plus, si ce record du monde se joue entre champions nationaux, on peut douter qu'il intéresse beaucoup au-delà des frontières, et l'argument commercial qui le justifie paraît bien vain, pour deux raisons. La barrière à l'entrée propre au TGV, la nécessité pour lui permettre d'atteindre sa pleine vitesse de construire une ligne spécifique, signifie à la fois que l'essentiel de son coût d'investissement dépend de travaux de génie civil, qui ne sont pas vraiment la spécialité d'Alstom et sont, pour l'essentiel, produits et consommés sur place, et que les clients éventuels peuvent fort bien se contenter d'utiliser des trains à grande vitesse conçus pour leur réseau traditionnel, au point que désormais, à partir de la technologie d'Ansaldo Breda, Alstom propose lui aussi des trains pendulaires. Les quelques kilomètres/heure gagnés au fil du temps n'aideront sans doute guère les commerciaux à placer ces lignes supplémentaires, qui de toute façon se développent lentement et à très long terme, et font, en termes financiers, du TGV une activité relativement marginale dans le plan de charge de la branche transports d'Alstom, lequel dépend bien plus des banales rames de métro et des très ordinaires trains régionaux.
Comme avec ces témoins destinés à mesurer des phénomènes qui évoluent de façon continue mais invisible à l'oeil nu, comparer les diverses manières dont les actualités télévisées ont, depuis 1955, rendu compte des records successifs donnerait une remarquable indication de ce qui change, et de ce qui reste immuable. Ce qui a changé, c'est la surface, cette opération de promotion qui s'insère dans la mise en service d'une nouvelle ligne, se déroule en direct pour le journal télévisé, avec aux manettes un conducteur à l'évidence sélectionné non pas, comme autrefois sans doute, au mérite ou à l'ancienneté, mais pour l'image, dans tous les sens du terme, que donnait son enthousiasme et son élocution facile. Et l'immuable, c'est ce pays de polytechniciens spécialisé dans les infrastructures, les transports et l'énergie, qui à la fois profite des actuels besoins mondiaux en infrastructures, souffre d'une concurrence de plus en plus vive, et court de grands risques en dépendant d'une spécialisation étroite exercée par une trop petite quantité de grandes entreprises. Personne n'a crié au miracle quand Soitec a réussi, après bien des difficultés, à produire des galettes de SOI de 30 cm de diamètre. D'ailleurs, personne n'est au courant. Pourtant, il s'agit d'un matériau autrement plus stratégique qu'un TGV, et autrement plus porteur d'avenir à long terme.