malheur aux barbus
Certes, la raison qui peut pousser des hommes d'âge mûr, souvent au seuil de la retraite, contraints de quitter le poste qu'ils occupaient à la tête d'une très grande entreprise, à emporter avec eux en toute légalité, comme le rappelle Jules, un magot cumulant les euros par millions et dont, à l'image de l'Express, on peut trouver distrayant de calculer le montant en équivalant-années de rémunération moyenne des salariés de l'entreprise en question, échappe un peu à l'entendement. On se doute bien que leur irréprochable sens de l'intérêt public, qui leur fera reverser à l'État plus de la moitié de la somme en question et fait donc de ce dernier le premier bénéficiaire de l'opération, puisqu'il profite bien plus de l'imposition d'un seul Zacharias que de celles de dizaines de milliers de smicards, lesquels se placent plutôt du côté des charges, n'est pas seul en cause. Pourtant, dans la charette des patrons-voyous que le peuple politique, syndicaliste et journalistique conduit actuellement au pilori, en attendant mieux, un condamné ne paraît pas à la bonne place : Jean-François Roverato[1], barbu comme Antoine Zacharias et, à l'image de l'ancien patron de Vinci, PDG d'un groupe de travaux publics, Eiffage, au pedigree incomparable.
Pris dans la nasse, Jean-François Roverato se voit reprocher d'avoir, sur les deux derniers exercices, reçu un total de 195 000 actions gratuites d'Eiffage, lesquelles, au cours du jour, sont valorisées dans les 114 euros ; au premier abord, on voit pourtant mal à quel titre les salariés pourraient s'en plaindre, puisque ces 22 millions virtuels que le patron d'Eiffage encaisserait éventuellement s'il vendait ces titres seront exclusivement financés par les actionnaires. Mais il se trouve que, comme souvent dans le BTP, chez Vinci par exemple, mais plus encore chez Eiffage où, entre Eiffage 2000, le véhicule ad hoc, et les participations individuelles, les salariés détiennent plus de 40 % du capital, salarié et actionnaire, c'est la même chose ; d'où la stratégie du PDG qui, pour se justifier devant ses employés, invoque les gains en capital que ses vingt ans de présidence leur ont apporté. Reste pourtant un élément qui coince : l'interdiction faite à ceux-ci de revendre leurs
actions au moment où les cours atteignent des niveaux qu'ils ne suffit pas de qualifier d'historiques puisque, naviguant autour des 75 euros entre avril 2006 et mars 2007, il viennent brusquement de bondir jusqu'à un plus haut de 129 euros atteint le 5 avril dernier.
La récente montée au capital de Sacyr Vallehermoso, l'un de ce groupes de travaux publics espagnols à la santé de fer et à
l'appétit féroce, qui, détenant 33 % des actions, pourrait presque par hasard franchir ce seuil fatidique qui le contraindrait à lancer une OPA sur le groupe, explique à elle seule à la fois la récente flambée du cours, et sa toute relative décrue. Or, précise Jean-Francois Roverato, cette fugitive aubaine n'aurait pu profiter aux salariés de son entreprise, dont la participation se trouvait bloquée, mais
seulement à ceux qui, ayant quitté celle-ci, se trouvaient libres de réaliser leur gains. Leur interdire, dans l'attente de l'assemblée générale du 18 avril prochain qui clarifiera les positions, de liquider les leurs relève donc de la simple équité.
En somme, les même censeurs qui, lorsque Noël Forgeard réalise une partie de ses plus-values en vendant au plus haut des titres EADS, soupçonnent le délit d'initié, condamnent le patron d'Eiffage alors qu'il cherche, précisément, à contrecarrer des abus du même ordre. Recevant, pour la première fois dans sa longue carrière, des options d'achat d'actions qu'il ne pourra donc exercer avant quelque temps, il montre l'exemple là où d'autres, profitant des rumeurs d'OPA, seraient d'autant plus tentés de profiter de l'aubaine au détriment de leurs petits camarades que, comme toujours en pareil cas, celles-ci se montrent excessivement volatiles. Evidemment, si l'affaire se fait, si un groupe d'investisseurs espagnols lance une OPA sur Eiffage, cette judicieuse dotation gratuite en capital prendra, pécunièrement comme symboliquement, d'autant plus de valeur que la note sera alors acquittée par un actionnariat presque totalement espagnol.
Notes
[1] on notera au passage que, une semaine après la publication de ce billet, les journalistes du Figaro confondent toujours Serge Simon, médecin et célèbre ex-pilier international, avec Serge Michel. Visiblement, ils n'ont pas de bonnes lectures.
Commentaires
A propos des notes, en mode wiki :
$$texte de la note de bas de page$$
Absolument d'accord avec cette analyse très éclairante. Je signale d'ailleurs qu'hier en lisant Libé je tombe sur une pleine page dédiée à cette histoire. Un article parle de Roverto en ces termes :
"Le cas Roverto est plus original. Patron d'un groupe en forme [...] il vient de toucher 195000 actions gratuites [...] et ce, alors que le même Roverto venait d'interdire temporairement à ses salariés [...] de vendre leurs actions dans le but de protéger son groupe d'une menace d'OPA de l'espagnol Sacyr. Classe!"
Consternant.
Comme quoi quand Libé ou Le Figaro parlent des patrons c'est bonnet blanc et bonnet rouge!
Sinon dans cette histoire quelques petites précisions: les actions détenues "en propre" par les salariés ne sont considérées, ni par le CA, ni par l'AMF comme faisant partie de l'actionnariat salarié qui n'est en réalité que d'un peu plus de 20% (yc via la société de gestion de cadres du groupe). Partant on ne peut "interdire" à ces salariés "flottants" de vendre leurs actions. Ils ont parfaitement le droit de jouer, eux aussi, avec leur panoplie du Petit Capitaliste. Par ailleurs l'interdiction n'a de sens que pour la partie de l'actionnariat salarié "libéré", l'autre étant par nature incessible. Enfin, les actions gratuites reçues par Roverato au titre de 2006 (les plus nombreuses) sont bloquées 1 an; il est donc vain de lui prêter quelques intentions en la matière.
Quant au fond de l'affaire, seuls les philistins ou les niais, peuvent s'indigner de ce que le capital récompense à leur juste valeur ses serviteurs les plus zélés en leur distribuant de la "funny money" qui par le miracle toujours renouvelé de Spéculand, transforme des salariés besogneux en nouveaux riches laborieux (qui n'a jamais vu les pompes de Tchuruk ne connaît pas le sens du mot médiocre).
De toutes manières que le travail se rassure, ces actions gratuites et autres retraites chapeau, c'est pas du mouron pour ses serins; alors à quoi bon s'faire monter la tension artérielle et l'bourrichon par des plumitifs envieux; comme disait l'autre, ignorons le nécessaire pour nous consacrer sur l'essentiel!
Merci Eric. Cela dit, je fais mes billets en HTLM et pas en wiki ; du coup, je me dis qu'une petite ancre ferait sans doute aussi bien l'affaire. Je suis un peu con, parfois.
Pour le reste, j'espère ne pas avoir été confus au point de laisser croire que la direction d'Eiffage avait un pouvoir quelconque sur les actions que ses salariés ont payé de leur poche avec leur bon argent. Manquerait plus que ça. Mais, comme les autres actionnaires, ils payent, et eux seuls, les actions gratuites attribuées à Jean-François Roverato. Et puisque ces actions, comme une bonne partie des titres de l'actionnariat salarié, ne sont pas négociables, ce dont la presse lui fait grief, c'est d'imposer une égalité de traitement à tous les salariés présents ou passés du groupe, lui compris. Ces braves gens devraient relire leurs copies plus attentivement.
Je crois bien que "ces braves gens" relisent leur copie tout le temps... Est-ce qu'ils se renseignent avant de rédiger?
Peut être que le journaliste de Libé ira jeter un oeil dans le Monde du 17... Ca pourrait lui servir concernant M. Roverato.
Si j'en crois mon convertisseur XHTML, ça se présente comme ça:
L'appel de note:
<sup>[<a href="#pnote-924-1" id="rev-pnote-924-1">1</a>]</sup>
(924 est le numéro du billet, 1 celui de la note)
La note, en fin de billet:
<div class="footnotes"><h4>Notes</h4>
<p>[<a href="#rev-pnote-924-1" id="pnote-924-1">1</a>] Texte de la note</p></div>
Merci François, grâce à toi je vais pouvoir multiplier les notes, comme Jules.