Il n'y a sans doute rien d'original à constater que, dans sa position numériquement inconfortable, le troisième homme d'une élection bipolaire chemine non pas sur une voie étroite, mais au milieu d'un boulevard. Car dans ce pays où deux blocs s'affrontent, et alternent aux affaires depuis vingt-cinq ans, systématiquement renvoyés dans l'opposition à chaque élection, sans oser, à l'intérieur du champ de tout façon réduit de l'action politique, autre chose que les changements les plus faciles, ceux qui se feront donc au détriment des plus vulnérables, l'outsider n'aura guère de difficultés à occuper une position originale. En l'espèce, François Bayrou a choisi de jouer les modestes.

Ainsi, rien de grandiloquent à Bercy : un dispositif simple, large scène où il viendra seul au pupitre, flanqué de part et d'autre d'une grappe de jeunes miltants, parterre occupé par quelques dizaines d'invités, séparés du reste du parquet par un praticable qui accueille, visiblement dans de bonnes conditions, les équipes de télévision. Au fond, l'écran ne servira guère qu'à projeter un court film de campagne. Et tout autour, les gradins du palais des sports remplis de sympathisants et autres militants, sans doute largement composés de catégories sociales moyennes qui proviennent plus des petites villes que des banlieues.
Rien de préremptoire dans un discours que, sans doute déshabitué des subtilités de la langue, le rédacteur de Libération interprète à contre-sens, mais, derrière la ficelle du pédagogue qui accroche son public en lui faisant chercher des rimes en ance, un art oratoire d'une désuète finesse, où Louis Aragon et Albert Camus fournissent les citations et Bronislaw Geremek l'anecdote, où l'on remercie ses amis en mentionnant à peine ses adversaires, où le monde enchanté et intemporel de l'école républicaine côtoie le facile symbole contemporain de la révolution orange.
Pourtant, au-delà de la maîtrise d'une forme littéraire, avec une manière un peu rapide, pour le président du parti qui, même si celui-ci le désavoue aujourd'hui, fut celui de Valéry Giscard d'Estaing, de se dédouaner des politiques passées en faisant comme si on n'y avait pas pris sa part, le fond se distingue fondamentalement du vain catalogue de promesses contradictoires encore en usage chez ses concurrents.

Fin d'un particularisme unique en Europe, le cumul des mandats pour les députés, parlement élu à la proportionnelle avec un seuil de 5 %, sur le modèle allemand, adaptation d'un small business act, calendrier précis pour, toujours à l'image de l'Allemagne, en finir avec le déficit budgétaire, renforcement des pouvoirs des institutions européennes, en particulier en matière de diplomatie et d'énergie, toutes ces mesures ont un seul but et une même inspiration : normaliser le fonctionnement du pays, en finir avec l'exception, et occuper la place d'un parti chrétien-démocrate, cette formation politique qui, avec son rival, et parfois son allié, social-démocrate, forme, dans bien des pays d'Europe, la base du fonctionnement politique. Devenir moderne, en somme, et accepter, humblement, démocratiquement, d'être comme les autres.
Entre les effets de manche de l'avocat-démagogue et les propos de l'ENArque présidente de région dont l'incohérence machinale du discours comme la monotonie mécanique du ton donnent à penser que ce type de robot se trouve encore en version alpha, et qu'il a été mis trop tôt sur le marché, l'agrégé de lettres François Bayrou tient modestement le langage de la raison. C'est pas si courant.