Il existe un paradoxe du marché. Rien ne dit, en effet, qu'un marché local soit régulièrement fréquenté par une population dont la structure sociale se rapproche de celle des habitants du quartier. On peut même postuler l'existence de biais considérables, d'âge en particulier. De plus, dans les communes d'une banlieue qui malgré tout reste un peu populaire, nombre de ses clients se recruteront dans les tranches d'âge mûr de cette population immigrée qui, faute de droit, ne vote pas. Quel intérêt éprouvent donc les figures de la politique locale ou du moins, à défaut des têtes, leurs partisans, à toujours occuper ce terrain lors des échéances électorales ?
Sans doute, d'une manière générale, celui de ne pas le laisser à l'adversaire. Mais à Clichy la Garenne, cette ordinaire ville moyenne des Hauts de Seine, qui ne l'est sans doute pas tant que cela puisqu'elle mérite plusieurs pages dans une récente livraison de L'Express, le marché occupe à l'évidence une position éminemment stratégique, et ce lieu où se met en scène la figure traditionnelle et naïvement démagogique de l'élu proche des gens qui fait ses courses comme n'importe quel électeur trouve ici une signification qui s'éclaire avec l'histoire récente de la ville, et de la circonscription électorale de Clichy-Levallois.

C'est en effet dans les allées de son marché central que l'on a revu depuis peu, seul d'abord, accompagné ensuite d'un maigre groupe de fidèles, ceux-là même que l'on retrouvera plus tard à l'inauguration de sa modeste permanence, une figure dont la notoriété est un peu passée, mais ne nécessite qu'une petite recherche pour revenir en mémoire : Didier Schuller. Le héros malheureux du documentaire que Christophe Otzenberger tourna voilà maintenant treize ans, dont la conquête de la ville passa par un exil aux Caraïbes avant de prendre fin entre les murs d'une cellule, revient donc tenter une chance qui ne lui a pas vraiment souri ; au moins retrouve-t-il, pour ces législatives auxquelles il ne participe pas, un paysage si proche de celui qu'il a connu à l'époque de sa gloire que toutes ces années semblent s'être écoulées en vain.
Car les professions de foi que ces militants distribuent au marché, selon des modalités fort intéressantes à analyser, s'ornent bien souvent d'une figure connue. Naturellement, la plus visible, à la fois parce qu'il s'agit de celle du député sortant et futur réélu en fauteuil, parce que les huit pages sur papier glacé qui la composent transpirent d'une richesse tranquille qui n'éprouve nulle honte à s'assumer, et parce que son éclatant sourire d'authentique honnête homme illumine le coeur sensible de l'électeur, est celle de l'insubmersible Patrick Balkany. Ce sourire dévastateur, reproduit sur chacune des pages dans une situation différente, à n'en pas douter, forme son meilleur argument, et sa plus cinglante réponse à tous ces vils critiques qui n'en voulaient qu'à sa carrière.
Ainsi en est-il du malheureux Rémi Muzeau. Le sauveteur de la section RPR en péril après l'épisode Schuller, celui qui fut le suppléant du député sortant avant de perdre sa place au profit de la bien plus tendre Marie-Claire Restoux va donc à la bataille seul, avec comme unique bagage un tract en double page et son slogan : "Pour une Démocratie Irréprochable".

En face, on aurait souhaité présenter celui qui, adversaire politique officiel, occupe en réalité la position du battu d'avance mais avec les honneurs, le maire de Clichy, Gilles Catoire. Malheureusement rien ne permet de confirmer l'hypothèse selon laquelle la section locale du Parti Socialiste connaissait effectivement le calendrier électoral en vigueur. Car c'est seulement ce samedi matin, sur le marché, alors que l'UMP était déjà partie, que l'on a pu récolter un pauvre tract, et apercevoir quelques socialistes et un ou deux Verts, exerçant dans l'occupation du bout de trottoir une concurrence déloyale face aux bénévoles de la Croix Rouge. Une prestation si minimaliste, qui se contente, comme prise de remords, le dernier jour de campagne, d'une simple feuille format A5 en fait de programme électoral, feuille dont une lecture rapide donne l'impression que Ségolène Royal est candidate à Clichy, ne peut délivrer qu'un seul message : perdu pour perdu, gardons pour d'autres occasions la menue monnaie qui reste au fond des caisses.
Alors, cette campagne, qui l'a faite ? Une seule formation, dont les militants omniprésents, tous revêtus de ce t-shirt dont l'orange fait un peu mal aux yeux, étaient sur place avant tous les autres et encore là le dernier jour : le MoDem. Dans cette élection déjà tellement jouée que l'abstention pourrait s'y montrer déterminante, les militants étonnement nombreux de ce tout jeune parti paraissent bien être les seuls à croire en ce qu'il font sans pourtant espérer de victoire. La surprise que personne n'attend viendra peut-être de là.