Sans doute trouvera-t-on à la fois audacieux et prématuré d'entrevoir, derrière ce récent article où Le Figaro dévoile la façon toute particulière dont la SNCF, cette grande maison tellement accueillante qu'on ne la quitte jamais vraiment, prend soin de certains de ses retraités, la manoeuvre politique, voire la stratégie élyséenne. L'article, par ailleurs de toute beauté, mérite largement un prix en perfidie. Le titre lui-même, "les retraites dorées", en rappelant les parachutes du même métal qui émeuvent si fort, à gauche et ailleurs, renvoie, avec un exemplaire égalitarisme de classe, les gros chèques des uns aux petits à-côtés des autres. Le reste, l'histoire de cette société créée par la SNCF, entreprise toujours publique, au paradis fiscal de l'île de Man pour payer moins de charges sociales à son Etat-propriétaire tout en employant illégalement ses anciens conducteurs de TGV, en retraite dès 50 ans, pour former du personnel dans une autre île lointaine, Taïwan, a un tel goût de pain béni qu'on comprend qu'un mets aussi raffiné ait été précieusement gardé pour la bonne bouche. Après un tel coup d'éclat, ne restait qu'à publier la réaction indignée du ministre de tutelle, et les délectables bredouillis des représentants syndicaux, navrés, pas au courant, voir peu enclins à fournir des munitions à la réaction. Un détail surprend, pourtant : le rapport interne qui justifie l'article date d'avril 2006, la SNCF affirme en avoir fait bon usage, et on voit mal en quoi révéler aujourd'hui son existence peut passer pour un fait d'actualité. Il n'existe alors qu'une alternative : soit le rapport vient juste d'être communiqué à la rédaction, soit celle-ci choisit seulement maintenant de s'y intéresser. Dans un cas comme dans l'autre, difficile de ne pas supposer une intention à peine cachée.
Car on sait que la liquidation des régimes de retraites spéciaux, ces privilèges monstrueux dont jouit cette petite quantité d'agents de l'État du fait qu'elle dispose seule des moyens de pression indispensables au maintien du statu quo, fait partie des chantiers du gouvernement, et d'autant plus qu'en son temps Alain Juppé, qui avait lancé l'assaut en 1995 dans des conditions désatreuses, sans assurer ses arrières, récoltant une grève totale des transports en plein milieu d'une rencontre internationale de première importance, s'y était épuisé. Révéler à quoi ces très jeunes retraités emploient leur temps libre, détailler combien cela leur rapporte, décrire de quelle manière leur employeur évite que ça lui coûte trop cher, a de quoi impressionner l'opinion publique, et diviser les troupes de l'adversaire. Si l'on assiste bien là à la préparation d'artillerie préalable à une offensive, incontestablement, ça commence fort.

Dans un tout autre registre, on se doit d'apprécier à sa juste valeur la nomination des Fadela Amara, Rachida Dati et Rama Yade au gouvernement Fillon 2. [1] D'un côté, deux militantes UMP pourvues des qualifications et diplômes nécessaires, nommée chacune dans son domaine de compétence, justice pour la première, francophonie pour la seconde, de l'autre, une militante associative qui complète, au féminin, l'action d'un Martin Hirsch ; on peut, en d'autres termes, justifier pleinement leurs nominations sans avoir à tenir compte de leur sexe ni de leurs origines sociales. Mais elles sont, on le sait, toutes trois à double titre représentantes de cette catégorie particulière, ces minorités visibles qui éprouvent tant de difficultés à se faire une place au soleil de la République. En principe, ce terrain des catégories sociales modestes revient à la gauche, d'où provient Fadela Amara, prototype de la filière SOS Racisme, cette chasse gardée du PS qui pourtant n'y a guère trouvé qu'un député européen, et un aigri. Mais au lieu de le labourer, le Parti Socialiste a laissé, depuis vingt ans, en jachère ce terrain des minorités, justement parce qu'elle le considérait comme sien et pouvait donc se dispenser d'y consacre le moindre effort, et ses plus belles plantes dans la nature. Il a suffit à l'UMP de se baisser pour les ramasser, et, en ajoutant ces jeunes pousses à son effectif, de récolter sans peine ces fruits désormais mûrs.
Comparons pour finir l'éblouissante Rama Yade à sa devancière, la chiraquienne Lucette Michaux-Chevry dont l'agonie de la fin de règne a sans doute joué dans le basculement à gauche de départements d'outre-mer autrefois bleus comme leur horizon, l'insolence de la jeunesse conquérante contre les petits tripotages des appareils en place, imaginons le volontarisme qu'il faut pour leur imposer la première, et la conclusion devient inévitable : on retrouve bien là les marques d'une exceptionnelle habileté tactique, d'un genre qui avait disparu avec feu François Mitterrrand.

Notes

[1] Au passage, on ne peut s'empêcher de noter la promotion dont bénéficie notre ami Estro puisque, "sportif de haut niveau" dans une précédente édition de sa biographie officielle, le voici réintégré dans ses titres de "champion de France moto". Un pas de plus, et l'on saura dans quelles catégories. Et puisque l'Outre-Mer commence au sud de Nice, sa compétence dans ses nouvelles fonctions ne saurait être contestée.