Il existe un moyen à la fois pertinent et inattendu de mesurer la notoriété dont profitent certains membres de telle ou telle catégorie sociale, moyen d'autant plus intéressant à étudier que les catégories en question diffèrent largement d'un pays à l'autre : lorsque cette notoriété change à la fois de dimension et de nature grâce à l'intervention de l'administration fiscale, qui possède cette capacité discrétionnaire à transformer, du jour au lendemain, le héros en fraudeur.
En son temps, le fisc suédois préférait les intellectuels, au point d'avoir conduit Ingmar Bergman, cinéaste, à l'exil fiscal. Sous nos lattitudes, de Michel Polnareff à Florent Pagny, le tropisme à l'égard du chanteur populaire s'est affirmé avec une constance qui confine à l'invariant sociologique. Et en Italie, l'administration a jeté son dévolu sur une sous-catégorie de sportifs presque aussi populaires dans la péninsule que les footballeurs : les champions motocyclistes. En ce mois d'août avare en gros titres, mais en pleine saison sportive, le bras aveugle de la loi s'est abattu coup sur coup, et par le plus grand des hasards, sur deux d'entre eux : le 9 août, l'incomparable Valentino Rossi, en Italie le plus grand depuis le roi Ago, se voyait, faute d'avoir déclaré 60 millions entre 2000 et 2004, réclamer un total de 112 million d'euros. Le 10, le teigneux Loris Capirossi, adversaire en MotoGP et bon camarade dans la vie, faisait l'objet d'une requête plus modeste, eu égard à son classement qui l'est tout autant : 1,3 millions.
Outre leur qualité professionnelle, les deux pilotes ont en commun de résider hors d'Italie, puisque Loris s'est depuis longtemps établi à Monaco, tandis que Valentino habite Londres depuis 2000. Là se trouve, techniquement, le coeur d'une affaire que l'on laissera aux techniciens du droit fiscal comparé le soin de débrouiller ce qui, lorsque l'on comprend qu'elle tient notamment au statut de "resident but not domicilied" dont bénéficierait Valentino, risque de ne pas être simple, voire même de coûter, en cas d'échec des poursuites, beaucoup d'argent au contribuable italien.

Du moins sera-t-il, symboliquement, largement rentré dans ses frais. Bergman, Polnareff ou Rossi se ressemblent au moins sur un point, eux qui sont, chacun à leur manière, des figures du scandale, cumulant toutes les insolences, cette réussite qui ne saurait rester impunie, cette richesse que leur seul talent ne peut justifier, ces provocations, ces atteintes aux bonnes moeurs, cet irrespect des normes sociales. Ils sont, aussi, des individus, identifiables en tant que tels, donc avec lesquels tout un chacun peut se comparer, puisque tout le monde remplit sa déclaration d'impôts, sauf Valentino. Le fait que Valentino soit, en fait, une entreprise, ce qui lui procure tous les moyens nécessaires, et qui font défaut à l'individu ordinaire, pour mener contre le fisc une bataille qui sera longue et pourrait être victorieuse, échappe au sens commun.
Voilà pourquoi il constitue, pour l'administration fiscale, une proie de choix, autrement plus rémunératrice, au fond, que l'anonyme restaurateur ou l'entrepreneur de travaux publics qui fournissent au contrôleur son pain quotidien. Avec l'appui sans faille d'une presse qui, dans le cas de la Reppublica, fait preuve d'une remarquable maîtrise du recyclage photographique, en jouant à la fois sur l'obscurité du droit et la sensation qu'a tout contribuable d'être expert en la matière, puisqu'il paye ses impôts, le fisc, dont l'accusation vaut condamnation, avec toute la brutalité de l'arbitraire dont il sait jouer à l'occasion pour qu'on n'oublie jamais l'étendue de son pouvoir, installe Valentino sur un pilori où l'on aura le droit de l'invectiver à loisir. Et en plus, cette année, il ne sera même pas champion du monde.