Si j'étais Président, je saurais que, désormais, le temps de la parade et des bons sentiments, des grandes manoeuvres et des propos de comptoir, a pris fin. En ce début de mon premier mandat, au moment donc où je dispose encore des possibilités d'action les plus vastes qui me seront jamais concédées, avant que mes premières décisions importantes, celles qui, par les choix que je ferai, figeront les camps et fixeront les frontières, ne les limitent fatalement, le mouvement s'impose. Plus grave encore, Authueil s'impatiente. Le champ de la première bataille est déjà choisi : la réforme des régimes spéciaux de retraite. Bien sûr, en proposant leur alignement, sauf exceptions rares et résiduelles, sur le statut global de la fonction publique, donc en adoptant une position à la fois logique, raisonnable et difficilement réfutable, le terrain a été partiellement déminé. Il n'empêche : plus encore que les états-majors syndicaux, la base, incontrôlable, et sûre de ses capacités de nuisance, risque d'aller à l'affrontement. Après la capitulation en rase-campagne de l'hiver 1995, après les politiques munichoises de Jospin et Chirac comment, sans trop de casse, lui faire comprendre que, cette fois-ci, elle ne gagnera pas ?
Il faudrait pouvoir faire un exemple, trouver un secteur précis, technique et de faible ampleur, sans rapport avec la question des retraites, mais où la plus infime modification dans les rapports de forces entraînerait mécaniquement un conflit total, que l'on se donnerait tous les moyens de gagner. Ce secteur existe : il s'agit, administrativement, de la réforme du des ports autonomes laquelle, politiquement, se résume d'un trait : raser la forteresse cégétiste du port de Marseille.

Tout m'y incite. Je dispose d'une justification incontestable, avec le récent et meurtrier rapport de la Cour des Comptes accompagné, pour les obtus et les analphabètes, des graphiques qui font mal. Je me trouve ainsi en mesure à la fois de démontrer tous les bénéfices à attendre de cette ouverture à la concurrence internationale que l'on appelle mondialisation, et de comptabiliser tout ce l'acharnement d'une minuscule frange de privilégiés prêts à tout pour défendre leur statut a fait perdre à la collectivité. En gagnant l'épreuve de force, j'apporterai à la fois la preuve de ma détermination, et le gage d'une politique diamétralement opposée à celle de mon prédecesseur. En outre, le temps, avec le démarrrage du projet Fos 2XL et l'engagement de la CMA-CGM, presse.
Naturellement, histoire de me démarquer du précédent Juppé, je ne vais pas partir à l'affrontement sans biscuits. En organisant le déclin progressif des ports français, en contraignant les acteurs économiques à se passer de leurs si peu fiables services, les jusqu'au-boutistes cégétistes m'ont déjà puissamment aidé. Marseille ne contrôle plus grand'chose d'important, à la notable exception près du circuit d'approvisionnement d'un certain nombre de raffineries. Encore ces installations, qui ne fournissent qu'une clientèle nationale, n'ont-elles plus rien de stratégique pour les grands pétroliers. Il me faudra donc, à la fois, veiller au niveau des stocks, organiser des circuits parallèles, et tenir la troupe prête à briser les inévitables blocus.

Si j'étais cégétiste à Marseille, je retarderais un peu l'achat de ma nouvelle voiture. Je surveillerais de près l'activité du raffinage, je compterais mes forces, et je me chercherais des alliés. Avec le gars Mourad, politiquement, on n'est pas du même bord. Mais grâce à Bruxelles, sa flotte et lui sont au chômage technique au moins jusqu'à la fin de l'année et, indiscutablement, puisqu'on parle exactement le même langage, on devrait pouvoir s'entendre.
Si j'étais chauffé au fioul, je n'attendrais pas l'hiver pour faire remplir ma cuve.