Il est sans doute mal venu de tirer sur une ambulance, en particulier quand elle transporte un miraculé. Mais personne n'a obligé le miraculé en question à tresser les fouets qui le lacèrent et puis, après tout, tout le monde le sait, on est là pour ça. De ce bien terne salon de la moto qui s'achève ce weekend émerge un étrange objet que l'on nous présente comme sa seule véritable nouvauté, les autres étant, selon l'usage, réservées à Milan. À sa place dans une manifestation envahie par les scooters, son apparence rappelle l'impression première donnée par la grosse routière BMW R 1200 RT qui, avec ses flancs ventripotents en plastique gris, ressemblait tellement à un scooter, malgré son énorme volume, qu'il fallut un temps de réflexion, et la découverte de l'écusson de la marque bavaroise, pour comprendre qu'il s'agissait bien d'une moto.
Si le site de son constructeur se montre extrêmement discret quand à l'aspect de la chose, Moto Planète n'a pas la même pudeur et n'hésite pas à dévoiler sous tous ses angles la Voxan GTV 1200, première incursion de celui qui se présente à juste titre comme seul constructeur français de motos de route dans le domaine si peu fréquenté de la grande routière.

Cette pauvre chose ne connaîtra sûrement jamais le bitume dans sa forme actuelle, mais elle dévoile malgré tout l'intention de son concepteur, l'habiller de façon respectable et dans une couleur neutre de manière à la faire passer, à l'occasion de sa première apparition publique, pour une BMW, l'étalon de la catégorie. Car, pour Voxan, le moment est fatidique. De dépôt de bilan en repreneur douteux, l'entreprise, désormais appuyée sur le réseau d'un importateur de machines chinoises, négocie en ce moment son entrée sur le marché libre de la bourse de Paris, opération qui paraît hautement périlleuse, en particulier pour d'éventuels investisseurs. Il n'est pas forcément inutile de les rassurer, à la fois en présentant une nouveauté, et une nouveauté plus à même de les convaincre de souscrire au capital que ce sulfureux café-racer qui a fait la petite réputation de la marque.

Car si l'on n'est plus à l'époque où des enseignants de l'Ecole Supérieure de Commerce de Chambéry eurent la curieuse idée de fabriquer une moto autochtone animée par un moteur de Citroën GS, Voxan illustre malgré tout à merveille ce phantasme récurrent et jamais abouti qui vise à faire vivre une industrie de la moto routière dans un pays qui a perdu toute tradition en la matière depuis plus de cinquante ans. La voie, en effet, est extrêmement étroite : pas d'autre choix que de concevoir un modèle haut de gamme, le seul que l'on puisse vendre suffisamment cher pour espérer être rentable. Impossible, si l'on désire développer son propre moteur, ce que des marques célèbres comme Buell et Aprilia qui se fournissent ailleurs, par exemple chez Rotax, ne font pas, de ne pas concevoir un V-twin, architecture à la fois emblématique du monde de la moto, et bien moins complexe et coûteuse que les quatre-cylindres des japonaises, ou des BMW. Du coup, le nouveau venu vient concurrencer, si l'on laisse de côté l'inaccessible Harley-Davidson, qui forme un univers à lui tout seul, les Ducati, Aprilia, KTM ou autre Moto Morini, ancienne marque italienne ressuscitée autour d'un nouveau moteur, qui tous commercialisent des V-twins routiers et sportifs, et tous bénéficient d'une notoriété et d'une légitimité incomparablement plus élevées que celles dont on peut créditer un nouveau venu. Il ne reste, alors, que de bien maigres arguments à faire valoir, un cadre de conception originale, la remise au goût du jour d'esthétiques oubliées, comme celle du scrambler et, surtout, ce petit drapeau tricolore dont la première bande souffre du péché inexpiable d'être bleue, et non pas verte.
La GTV 1200, au reste, n'est pas sans intérêt : d'un poids que l'on annonce étonnement faible, munie d'une transmission acatène par courroie qu'il faudra apprendre à protéger, elle pourrait, entièrement remodelée, au lieu de singer les BMW, renouveler la catégorie en déshérence des GT sportives, et devenir ainsi la machine que plus personne ne fait. Mais dans le cas contraire, pour acheter une Voxan, il faudra encore être chauvin, ou philanthrope ; voilà des fondations bien friables pour asseoir une stratégie commerciale.