la princesse de Ségur
Marcel, le narrateur, rencontrant, en compagnie de sa grand-mère, la princesse du Luxembourg sur la jetée de Balbec, fut fort surpris lorsque, loin de se montrer distante comme l'exigeait son rang, cette grande dame leur fit l'honneur de leur adresser la parole, et fit preuve à leur égard de la plus
grande amabilité. Ainsi, profitant de la présence de marchands ambulants, elle les combla de petits cadeaux, au point que le narrateur finit par s'imaginer dans la position du singe, que les visiteurs du zoo approvisionnent en friandises : en agissant ainsi la princesse, si désireuse de bien faire et d'effacer cette
prodigieuse distance sociale qui la séparait du narrateur et de sa grand-mère, et dont elle avait pleinement conscience, ne faisait que la rétablir d'une manière moins perceptible, mais encore plus visible, du fait même des efforts si démonstratifs qu'elle faisait pour l'abolir.
Recevant en son ministère de l'avenue de Ségur représentants syndicaux des salariés comme du patronat, membres de la fonction publique, scientifiques, élus locaux, et activistes écologistes, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui ouvre peut-être, avec sa spécialisation en génie rural à la sortie de l'X, une nouvelle phase dans l'évolution de la noblesse d'État, fait, dans son désir d'accueillir tout le monde et de ne surtout oublier personne, irrésistiblement penser au personnage de Marcel Proust. On se serait,
naguère, pour discuter de politique environnementale, contenté d'un colloque, de rencontres, entre spécialistes. On aurait fait le point sur ces choses que l'on développe au CEA, comme les membranes des piles à combustible ou les polymères pour la filière photovoltaïque, ou sur d'autres, la recherche des organismes les plus adaptés à l'industrialisation des biocarburants ou la fabrication par transgénèse des molécules nécessaires à une nouvelle
chimie issue de l'agriculture.
A la place, l'État organise le Grenelle Environnement. Ainsi, il recycle au point d'en faire un terme générique l'appellation de ces historiques accords sociaux qui dénouèrent la crise politique et sociale de mai 68 ; il évite, alors, d'employer un autre terme chargé d'un sens un peu analogue et souvent utilisé dans ces mêmes circonstances, états généraux. De la sorte, il oublie que les accords de Grenelle n'ont eu lieu que sous la contrainte du
mouvement social le plus vigoureux depuis les grèves de 1936, et passe sous silence la nature exacte des états généraux, assemblée purement consultative réunie du seul fait du prince. Mais c'est pourtant bien de cela qu'il s'agit, puisque l'on convoque le pays en
ses états et corporations, que l'on appellera ici collèges. Seul manque le peuple souverain ; à sa place, ses représentants autoproclamés, la turbulante
société civile des activistes écologistes. A l'évidence, nous voilà bien loin de l'époque où l'on avait politiquement
tort parce que l'on était numériquement minoritaire ; mais cette alliance en apparence contre nature entre l'appareil d'État et des activistes essentiellement préoccupés de contester son autorité recouvre en fait de profondes similitudes.
Voilà pourquoi la mesure la plus voyante du catalogue de bonnes intentions qui ne manqueront pas d'être récitées au sortir du colloque tiendra en la baisse de la vitesse maximale sur route, mesure qui aurait comme effet premier de faire la fortune des fabricants de panneaux de signalisation. Mais elle correspond parfaitement, à la fois à la pulsion malthusienne et punitive des activistes écologistes, à la vision bureaucratique d'un appareil d'État qui préfère une mesure simple et uniforme à la prise en compte de l'infinie complexité du réel, et à la croyance que tous deux partagent en l'efficacité de la contrainte réglementaire et des mesures spectaculaires.
Et pendant qu'on discute, le baril de brut WTI livrable en novembre approche des 90 $ : d'un seul mouvement, le marché et l'armée turque viennent de faire plus pour réduire la consommation de combustibles fossiles que tous les colloques, rencontres, congrès, séminaires, états généraux, et autre grenelle.
Commentaires
Dans le cadre des propositions amusantes, notons également "une éco pastille favorisant les véhicules les moins polluants", avec, probablement, en pendant, un auto-collant stigmatisant les plus polluants, ou "favoriser les débats publics organisés", qui sont quand même mieux que les débats publics désorganisés!
Mais là où l'inconsistance de la réflexion s'appuie sur une méconnaissance crade des problématiques, c'est lorsqu'a été évoquée la "suppression des subventions publiques pour les compagnies aériennes à bas coûts". Celles-ci sont en effet, depuis l'affaire Ryanair-Britair en 2003 ( www.veilpartners.com/Imag... ), dans le colimateur constant et opiniâtre des autorités de concurrence, tant nationales qu'européennes, qui leur reprochent, justement, les aides publiques que les CCI, pour l'essentiel, leur octroient pour tenter de les attirer sur leurs aéroports régionaux. Il ne s'agit pas ici, bien entendu de défendre les compagnies low-cost, mais bien de prendre la mesure de l'inanité des mesures proposées lors de ce "grenelle" (et, de mémoire, le transport aérien, au global, doit participer à hauteur de 3% à la production du CO² mondial...).
Et au final, "la pulsion malthusienne et punitive des activistes écologistes" me rappelle cette définition de l'envie, attribuée à La Rochefoucauld, et rapportée par P. Meyer, à propos de "l'invidia" corse: "L'envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres". Ce qui la différencie de la jalousie, qui se contente, elle, de convoiter le bien des autres...
Je suis d'accord avec toi sur ta critique de l'utilisation de "Grenelle", ne serait-ce que par principe, moins sur tes reproches faits à NKM.
Sur le Grenelle, je trouve étonnant que l'on emploie systématiquement un terme passé, comme si l'on était dans l'incapacité d'innover, comme si les accords de Grenelle étaient l'alpha et l'omega de la vie politique. Et tu fais très justement observé que les accords de Grenelle étaient intervenus sous la pression, ce qui n'est pas spécialement flatteur pour le pouvoir.
En ce qui concerne NKM, je trouve la critique mal fondée. Dans son principe, il me semble en effet inévitable de tenir compte de la situation actuelle de la société. C'est d'ailleurs le job des politiques. On peut regretter qu'ils ne s'en tiennent pas à quelque chose de plus sobre, moins esbrouffant. Mais il ne me semble pas illégitime de communiquer, spécialement sur une problématique qui suppose l'adhésion du plus grand nombre.