C'est donc le 1er Novembre, jour de bourse ordinaire, qu'est entrée en vigueur la directive N° 2044/39/CE sur les marchés d'instruments financiers, alias MIF, au sujet de laquelle l'AMF a publié en juin 2006 un guide un tout petit peu plus accessible que la littérature bruxelloise. S'adressant essentiellement aux professionnels, puisqu'elle uniformise au niveau européen les modalités de fonctionnement des marchés, elle comporte un volet tout empreint de maternelle bienveillance et qui protègera l'innocence du consommateur, en l'espèce celui que sa banque désignera comme "investisseur individuel".

C'est avec quelques jours de retard que l'établissement de crédit qui peut s'honorer de ma confiance et conserve à ce titre une bonne partie de mes économies me fait savoir que j'appartiens à la catégorie des "non professionnels". Dès lors, je pourrai profiter de la clause du client le mieux protégé. Mais il ne s'agit là que de la première étape d'un processus de classement par lequel ma banque doit s'assurer que j'ai bien conscience de toutes les conséquences potentiellement graves qu'implique le fait de prendre des risques avec ses sous. Pour cela, elle dispose pour ses clients de l'historique de leurs transactions, mais n'exclut pour autant pas de les soumettre à un test en deux parties, où elle évaluera leurs connaissances, et leur expérience de la chose. Alors, il sera possible d'accéder au classement final, et de se voir attribuer l'un des trois profils types. Je me retrouve donc, faut-il s'en réjouir ou s'en étonner, dans la catégorie noble, celle des "clients familiers des instruments financiers offrant une perspective de plus-value élevée associée à des risques moyens à forts sur le capital". Investisseur, quoi.
Pour rejoindre les rangs des clients professionnels, il aurait fallu réaliser au minimum dix transactions par trimestre, ce qui semble à portée, posséder un capital financier supérieur à 500 000 euros, ce qui constitue un critère significativement plus sélectif sans pourtant être inaccessible, et être, par sa banque, jugé apte à le faire. Mais une fois placé d'office dans la catégorie du tout-venant, demander à monter en classe affaires implique de suivre une procédure qui, de renonciation à confirmation, donne un peu l'impression qu'on vous demande d'entrer dans les ordres.
Il s'agit, en somme, de constuire un empilement de règles qui ont comme objectif avoué que personne ne puisse prétendre ignorer ce que le terme de risque veut dire. Et si l'on ne satisfait pas aux critères, la conséquence sera tragique : on sera interdit d'accès aux "instruments financiers complexes", c'est à dire, en d'autres termes, aux outils purement spéculatifs où l'on peut risquer plusieurs fois le montant de son capital, tel le service du règlement différé, cette capacité d'acheter avec de l'argent qu'on n'a pas des actions que l'on ne souhaite pas garder.
Autant dire que pour l'ordinaire investisseur, celui qui se contente de loger actions et OPCVM dans un PEA, cette nouvelle réglementation ne changera strictement rien, puisque le SRD comme les autres trucs bizarres lui sont déjà interdits. Tout au plus fournira-t-elle à son banquier une superbe occasion de tout savoir des avoirs de son client, histoire d'être encore mieux à même de lui vendre le dernier produit financier maison, ce fonds garanti au nom si poétique et au mécanisme tellement indéchiffrable, qui ne garantit guère plus que la commission de son conseiller financier.

On ne saurait, certes, réduire la portée d'une réglementation européenne à la seule situation nationale. Mais l'on peut malgré tout se demander quelles catégories d'individus ce corset peut bien protéger. On a certes connu, à la grande époque de la Nouvelle Economie, les "day traders", ces particuliers qui jouaient en bourse à longueur de temps depuis leur chambre à coucher. Mais il semble bien qu'ils aient disparu avec ce marché, explosé en vol fin 2000. Les autres sont soit déjà enserrés dans un réseau de contraintes, soit bien à même de mesurer les conséquences de leur liberté d'action. Alors, on finit par conclure que le principal bénéficiaire de cette protection sera le banquier lui-même, qui aura un intérêt commercial à appliquer la réglementation à la lettre, et pourra, de ce fait même, l'opposer ensuite aux éventuelles contestations de ses clients.
Car les riches n'on pas comme habitude de se laisser tondre sans réagir, et il convient donc de s'en méfier. Avec les pauvres, par contre, les précautions sont inutiles  ; aux pauvres, on peut proposer un crédit renouvelable à taux cassé, 4 % pendant deux semaines, et 19,95 % pour le reste de l'année. C'est sans risque : les pauvres, ils sont faibles, et un peu cons.