L'automne, c'est la saison de la chute des feuilles. En principe, ce n'est pas celle de l'agitation étudiante. Si celle-ci se déploie à contre-temps, c'est parce que le fait générateur du mouvement du jour s'est produit en plein mois d'Août, juste avant le quinze. Carte d'étudiant, rentrée, premiers cours, inscriptions administratives, et nous voilà début novembre prêts à attaquer les choses sérieuses. Normalement, le programme devrait maintenant se dérouler selon les usages, au point que l'on puisse le décrire par avance et en détail, les quelques variations par rapport à la norme, comme l'irruption des anarcho-syndicalistes de la CNT, ces gens qui s'y connaissent question bannières qui claquent, ne justifiant pas d'y consacrer un billet de plus. Pourtant, çà et , on s'y intéresse ; et puisque, dans la bande, je dois faire partie des rares qui sont un petit peu concernés, autant y consacrer quelques lignes.

Comme ceux qui l'ont précédé, ce mouvement remplit au moins trois fonctions distinctes, dont seule la première, la plus visible, semble avoir été comprise par les commentateurs : permettre aux futurs apparatchiks des partis politiques de faire leurs premières armes avec comme terrain d'action la cour des grands, à l'image de l'UNEF où un Bruno Julliard, toujours en service même s'il semble sur le point de passer la main, présente un exemple tellement idéal-typique de l'étudiant de profession militante qu'il risque de nuire à sa future carrière. Mais deux autres points méritent l'attention, le premier mettant en scène des acteurs qui, parfois en jouant mollement les victimes, parfois en affirmant leur solidarité avec la retenue qui sied à leur position, ont toujours réussi à faire passer au second plan leur rôle dans les conflits de cette nature : les enseignants.
Cette nouvelle loi, pourtant, en modifiant leurs conditions de recrutement, en renforçant les pouvoirs présidentiels, en étendant le domaine d'intervention du conseil d'administration, en contraignant à un suivi au moins statistique du devenir professionnel des étudiants, les atteint de la manière la plus directe. On comprend qu'elle suscite ce genre de réaction de la part du conseil de mon UFR, Histoire, Littérature, Sociologie : "cette loi exclut de plus en plus la communauté universitaire des décisions la concernant, au profit de décisionnaires nommés ou de « personnalités extérieures » représentant le plus souvent des intérêts privés". Ce qui, on en conviendra, n'est qu'une manière plus policée de dire exactement la même chose que les slogans des manifs.
Cette loi n'a, au demeurant, pas plus d'importance qu'une autre, et n'empêchera pas moins, ou pas plus, ceux qui désirent agir au sein du système actuel de le faire. J'ai connu, tapi au coeur d'un des plus vastes lycées parisiens, une antenne du GRETA, la branche formation permanente de l'Éducation nationale, qui fonctionnait comme une petite entreprise, indépendante et privée, parce que sa responsable avait réussi à faire financer ses formations par une des plus grandes banques du pays, laquelle lui permettait, par exemple, de renouveler tous les deux ans sont parc informatique avec du matériel de première qualité. Ce n'est pas la loi qui fait l'autonomie : quelle que soit leur rigidité de façade, tous les systèmes laissent suffisamment d'espace pour que des initiatives menées avec détermination et diplomatie puissent y prospérer.

Enfin, pour expliquer le rôle des étudiants, on trouve des approches plutôt sommaires, qui, soit insistent sur l'innocence d'une jeunesse si facile à manipuler, soit renvoient à la pression exercée par les militants d'extrême-gauche, avec cette conception révolutionnaire de la démocratie qui, depuis toujours, n'appartient qu'à eux. C'est seulement au détour d'un commentaire, souvenir des années en fac de ceux qui y sont passés, que l'on retrouve une réalité déjà étudiée par Howard Becker. Celui-ci, observant l'activité d'une équipe médicale essentiellement composée de secouristes et prenant en charge les petits soucis de santé des spectateurs de concerts dans le San Francisco de la grande époque, découvrit que ceux-ci s'occupaient, en fait, de toute autre chose que de donner des soins. Il constata que : " les bénévoles (...) pour la plupart célibataires, étaient toujours en quête de l'âme soeur. Etre bénévole dans ce cadre, ça revenait à aller à une grande fête, à voir sur scène quelques-uns de vos groupes préférés, avec bière et repas gratuits, en compagnie de nombreux jolis jeunes gens et de nombreuses jolies jeunes femmes avec qui vous saviez que vous aviez déjà certains goûts en commun."
Certes, le spectacle des AG est incommensurablement plus ennuyeux que celui des concerts organisés par Bill Graham. Pourtant, on y trouve des opportunités du même ordre, et une occasion unique d'assurer une socialisation qui dépasse les cadres de la routine quotidienne. Si l'on retient une telle hypothèse, il devient impérieux de participer à au moins une grève au cours de son cycle d'études, lequel dure le plus souvent entre trois et cinq ans ; il faut donc à la fois remercier le ministre qui fournit cette occasion, et se précipiter pour la saisir.
Le mouvement offre une opportunité unique d'expérimenter la vie pour de vrai, de trouver un semblant d'autonomie, de vivre une expérience éloignée du cadre scolaire, à un âge où l'on n'a pas connu grand'chose d'autre. Dans la confrontation au réel, on prête aux plus déterminés l'intention d'aller, demain dès l'aube, vérifier sur le terrain les vertus oubliées de la solidarité étudiants/travailleurs en bloquant les voies de la SNCF : ça risque d'être chaud ; ça sera, à coup sûr, formateur.