On laissera à nos amis fiscalistes ou publicistes comme à nos chers économistes lugubres le soin de rappeler que, dans notre beau système fiscal, rien ne permet de conditionner une dépense précise à l'existence d'une recette particulière. De même qu'il serait vain de recenser le nombre de maisons de retraites financées par la défunte vignette automobile, on ne pourra porter au compte de la plus-value que l'État retirera de la vente de ses titres EDF le coup de pinceau tant attendu qui rafraîchira les murs de la fac d'Orsay. Pourtant, cette opération, pour un certain nombre de raisons, représente un très beau coup, que l'on se permettra d'apprécier en connaisseur.

Il y a, d'abord, une opportunité de marché. Introduite en bourse voici exactement deux ans l'action EDF, contredisant en cela les sombres pronostics d'un analyste amateur qui ferait mieux de changer de métier, a depuis grimpé de près de 160 %, touchant un plus haut la semaine dernière. De l'avis général il est grand temps pour l'État, lequel se comporte pour une fois en investisseur avisé, de céder une fraction de sa participation, ce qui ne change pas grand-chose pour lui puisque, l'opération une fois réalisée, il possèdera toujours 85 % de la première capitalisation boursière de la place. Les acquéreurs ne devrait pas être trop difficiles à trouver, l'entreprise, grâce à ses centrales nucléaires, produisant le kilowattheure le moins cher d'Europe. On pourrait même en garder un peu pour ENEL, l'électricien italien avec lequel, après une regrettable fâcherie, on vient juste de se réconcilier, en lui vendant une tranche de l'EPR de Flamanville. Au total, cette petite opération capitalistique qui ne fera que des heureux devrait rapporter plus de quatre milliards d'euros ; ça en fait, des pots de peinture.
Mais on n'aura atteint là qu'une des bandes de ce magnifique coup de boules de billard. En vendant ces quelques pièces d'argenterie familiale dont le produit sera investi dans la formation des jeunes générations, l'État démontre le souci qu'il a de leur avenir, et contredit ainsi en actes les vaticinations de ces échevelés qui voulaient voir dans la LRU le premier acte de son désengagement financier. Et il leur faudra, comme preuve de leur erreur aussi bien qu'à titre de punition, profiter eux aussi de ce diabolique argent du mal généré par une plus-value sur une opération de bourse, horrible expression de l'ignoble capitalisme financier, un argent dont il leur sera impossible de récuser la légitimité puisque, comme on l'a dit plus haut, notre beau système fiscal n'établit aucune relation entre recette et dépense.

Voilà qui vient conclure un conflit qui voit, pour la première fois depuis des temps immémoriaux, une réforme universitaire menée à son terme. Il aura fallu pour cela agir avec beaucoup de prudence, la faire voter au coeur de l'été, la négocier avec l'UNEF, limiter sa portée à des questions relativements secondaires, au point que l'on peut se demander si elle n'avait d'autre objectif que de survivre au mouvement de contestation qui ne manquerait pas de se produire, et montrer un peu de patience. A quelques semaines des vacances d'hiver, et guère plus du très long intersemestre, les adversaires rendent les armes et, prenant acte, dans une remarquable xyloglossie, du "problème que constitue la désertification de l'université", le combat cesse faute de combattants.
D'autant que le premier d'entre eux, Bruno Julliard, abandonne son poste avant même la fin de l'ultime bataille. C'est que, à défaut de son Master de droit public, il a du moins terminé sa formation politique et peut donc s'en aller avec la satisfaction du devoir accompli rejoindre l'équipe de Bertrand Delanoë, où on l'attend pour les municipales. Après tout, il faut bien savoir terminer une grève. Et parfois, c'est même diablement urgent.