Le procureur de Tourcoing qui avait mis en examen un motociste vendant des véhicules destinés à être utilisés dans un espace privé sur la base d'un article du Code de la route avait donc, non pas cédé à une interprétation idiosyncratique d'un texte de loi ainsi propulsé hors de son champ d'application, mais bien fait oeuvre de pionnier. Car le tribunal correctionnel de Melun vient de confirmer son interprétation, en condamnant le 29 novembre dernier un motociste commercialisant des engins du même type à la confiscation de son stock, sur la base du même article L.321-1 que le tribunal juge "de portée générale". Les perspectives ainsi ouvertes se révélant totalement vertigineuses, il convient donc de les évoquer à partir de l'article en question, lequel est d'ailleurs aussi bref que caractéristique d'un souci méticuleux du législateur, celui de ne surtout oublier personne ; le voici :

Art. L. 321-1. - Le fait d'importer, d'exposer, d'offrir, de mettre en vente, de vendre, de proposer à la location ou d'inciter à acheter ou à utiliser un cyclomoteur, une motocyclette ou un quadricycle à moteur qui n'a pas fait l'objet d'une réception ou qui n'est plus conforme à celle-ci est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 d'amende. Le véhicule peut être saisi.
Un décret détermine les conditions dans lesquelles il peut être dérogé aux dispositions du présent article pour tout véhicule destiné à participer à une course ou épreuve sportive.
Essayons pour commencer d'imaginer les conséquence du : "n'est plus conforme". La réception, opération à la charge d'un constructeur désireux de vendre un véhicule à usage routier, désormais réalisée en une fois pour tout l'espace européen, se traduit par la rédaction d'un certificat de conformité extrêmement détaillé. Le texte de loi ne précisant pas les domaines dans lesquels ce défaut de conformité est répréhensible, on en concluera nécessairement qu'il vise toute modification perceptible ou mesurable dans la configuration de l'engin. Il prohibe, en d'autre termes, toute adjonction d'accessoires, pare-brise et porte-bagages par exemple, non pas en raison de la laideur intrinsèque de ces appendices, mais parce que le certificat n'en fait pas mention. D'un seul coup, la quasi-totalité du parc des deux-roues motorisés bascule dans l'illégalité, et peut donc faire l'objet d'une saisie.

Voyons maintenant la question de l'absence de réception et, plus généralement, du défaut de certificat. Le texte de loi pénalisant la simple exposition de motocycles dès lors qu'ils ne sont pas homologués, motos de compétition par exemple, ou pour lesquels l'exposant ne sera pas en mesure de fournir un certificat, ne serait-ce que parce que celui-ci n'existait pas au moment où la machine a été construite, les collections des musées se trouvent désormais hors-la-loi, et susceptibles d'êtres confisquées. Inexorablement, puisqu'il possède trois roues et pas de carrosserie, et que l'on a perdu depuis longtemps toute trace de sa réception, le fardier de Nicolas-Joseph Cugnot est concerné.

Si l'on suit l'interprétation du tribunal, on est d'autre part obligé d'admettre que, l'article de loi s'appliquant à la totalité des motocycles commercialisés sans tenir compte de leur destination, il prohibe bel et bien la vente de machines de compétition et condamne ainsi toutes les disciplines du sport motocycliste. Les motos de cross, comme la Kawasaki KX65 ou KX85, selon les sources, impliquée dans l'accident de Villiers-le-Bel, si communes dans ces banlieues où il n'existe pourtant pas le moindre monticule de terre, ne représentent qu'une des branches de ce sport dans lequel, à l'exception du trial et de l'enduro, les compétitions se déroulent sur circuit et se pratiquent avec des machines non homologuées.
Et puisque l'importation, même provisoire, de ces motos est interdite, les compétitions de niveau mondial, où la présence d'écuries françaises reste marginale, seront menacées. On imagine la tempête de rires qui parcourrait la planète si jamais, pas crainte de voir leur matériel confisqué, constructeurs et pilotes refusaient de participer au Grand Prix de France moto. L'heure est suffisamment grave pour que la si consensuelle Fédération Française de Motocyclisme, celle qui ne s'occupe que des motocycles à usage sportif, donc non homologués, et dont le tribunal de Melun vient, dans sa décision, de réduire l'objet à néant, se voie obligée de publier un communiqué, qui fait par ailleurs le point sur le décret que mentionne le texte de loi. La dérogation en question autorisant la transformation de véhicules immatriculés à des fins de compétition démontre d'ailleurs, si l'en était besoin, que le Code de la route ne s'applique que sur la route.

Mais cette Fédé-là ayant l'oreille des autorités, et l'une de ses vieilles gloires au gouvernement, on peut être certain que sa voix sera rapidement entendue. En attendant, on saura gré au législateur d'offrir ainsi à l'humble blogueur comme à ses camarades, avec une telle constance, ce formidable terrain d'action qu'est le legislator bashing.