Il se passe toujours quelque chose à la piscine de Clichy. En ce moment, on y travaille sur la fosse à plongeon devenue, maintenant qu'elle est privée de son équipement essentiel, bassin de plongée. Les amateurs de bouteille qui multiplient les découvertes fascinantes en explorant chaque centimètre carré de son fond ne sont sans doute pas assez nombreux pour justifier son maintien en l'état. Aussi la ville profite-t-elle de ces vacances de Noël, durant lesquelles la fermeture de la piscine pénalisera le sportif contribuable, mais pas les enfants des écoles, pour y installer un dispositif assez original. Il s'agit d'un plancher mobile complet avec affichage par diodes indiquant la profondeur de l'eau pour, nous dit la municipalité, permettre un ajustement de la hauteur d'eau en fonction des besoins : 80 cm pour les enfants-barboteurs, 1,20 m pour l'exercice des retraités, pardon, la gymnastique des seniors, et 3,80 m pour la plongée.Tout cela serait sûrement très utile si la piscine ne disposait pas d'un petit bassin autonome parfaitement à même de remplir ces deux premiers objectifs, ce qu'il fait déjà, et si le meilleur moyen d'assurer le troisième n'était pas justement de laisser la fosse dans son état actuel.
Pour comprendre un peu mieux la véritable raison de cet investissement a priori inutile, il n'est pas superflu de se déplacer sur le trottoir, devant l'entrée de la piscine. Pour compléter sa rénovation la municipalité a, sur ce trottoir étroit et à proximité d'un carrefour, fait installer quelques places de stationnement destinées aux deux-roues. Faute d'espace, ces emplacements sont aussi longs que les équipements trop courts qui y sont posés, soit 1,20m et, étant entourés de bordures, obligent le cycliste rigoriste - on s'excusera du pléonasme - soucieux de garer son vélo en toute légalité à laisser la roue avant déborder largement sur la voie de circulation, à l'endroit précis où les voitures serrent le trottoir pour tourner. On ne pariera pas sur ses chances de retrouver cette roue avec sa planéité d'origine.

On pourrait multiplier ces exemples d'équipements superflus, comme le chariot électrique de mise à l'eau dont on a déjà parlé, qui n'a pas bougé d'un centimètre depuis son installation et, ses batteries s'étant depuis lors déchargées sans vraisemblablement avoir jamais été entretenues, se trouve probablement aujourd'hui hors d'usage, ou ces ralentisseurs placés dans des rues si courtes et si étroites qu'il n'existe pas de possibilité physique d'y dépasser la vitesse qu'ils sont censés réduire. La fonction de ces dépenses devient alors évidente : elles n'ont d'autre objectif que d'être des dépenses.
Car, assise sur le trésor de la taxe professionnelle des L'Oréal, Monoprix, FNAC, Sony, Géodis, MMA, et autres Bic, la municipalité a largement de quoi se payer des jouets. Elle peut donc en même temps se permettre de ne pas augmenter les impôts des résidants, et maintenir son biais dépensier. Elle est, après tout, seule juge de la pertinence de ses investissements. Modestes, éparpillés, d'utilité publique, ils ne risquent guère d'attirer l'attention d'une quelconque cour des comptes, et ne prennent sens qu'après avoir été agrégés dans une perspective globale. Alors, il devient évident qu'ils n'ont pas d'autre but que de garder en l'état le système municipal, à la fois dans les rapports de forces politiques au sein de la majorité, dans l'occupation constante qu'ils procurent au personnel municipal en permettant d'acheter, comme bonus, la paix sociale, voire dans les commandes dont profitent les prestataires locaux. Les impôts prélevés sur des entreprises qui n'ont pas de bulletin de vote produisent une ressource dont il faut bien trouver l'emploi, emploi qui permet à son tour de maintenir le train de vie, le pouvoir, et le prestige d'un micro-système qui, reproduit sur tout le territoire, explique l'inefficacité d'une action collective visant par exemple à réduire la dette publique, là où n'existe ni public ni collectif, mais une juxtaposition de milliers de petites unités autonomes chacune attachée à la conservation de sa situation. On préfère dépenser de quoi inciter le citoyen à faire son geste pour la planète, plutôt que de faire son propre geste pour son budget.

Reste à spéculer sur l'utilisation qui sera faite de ce plancher mobile, qui, probablement, le personnel détestant se compliquer l'existence, restera pour toujours à la même hauteur. Choisira-t-on la facilité, en le laissant au fond ? Ou justifiera-t-on la dépense en le plaçant en position haute ? Alors, on ne reverra sans doute plus les pittoresques ébats de ces vigoureux sapeurs-pompiers, flottant alanguis sur des matelas dans la fosse à plongeon après leur exercice hebdomadaire, s'étrillant mutuellement à l'aide de ces boudins de mousse qu'utilisent les apprentis-nageurs. J'en connais qui ne se remettront pas d'avoir manqué un tel spectacle.