l'impossibilité d'une absence
On n'aurait sans doute pas gagné grand-chose en
pariant sur
la prise de cette décision, tant elle semblait acquise
d'avance.
Pourtant, son cheminement aura
été particulièrement
tortueux. Il a d'abord fallu constituer une commission
ad hoc, le Comité de préfiguration de la Haute
autorité sur les organismes
génétiquement
modifiés dont l'intitulé,
délicieusement
désuet, rebelle à l'acronyme, garantissant
à son
président, Jean-François Le Grand,
de ne jamais être invité sur un plateau de
télévision tant il faudrait mobiliser de
ressources pour
simplement décrire exactement sa fonction, au point
d'ailleurs
que son nom ne soit même pas correctement écrit
dans son
arrêté de nomination, suffit à montrer
dans quelle
précipitation l'autorité a agi. Ce
comité à
durée de vie limitée n'aura vraisemblablement rien
d'autre
à faire que de rendre son avis sur le maïs MON 810 de
Monsanto.
Il avait une tâche précise :
démontrer
l'existence de faits nouveaux faisant naître des doutes
sérieux quant à l'innocuité de la
semence
transgénique, seul moyen de faire jouer cette clause de
sauvegarde grâce à
laquelle le plus grand état agricole de l'Union
Européenne pourrait suspendre une autorisation de
commercialisation donnée voilà
plus de dix ans par cette même Union.
Hélas, si, en des termes presque poétiques, le
comité constate l'impossibilité d'une absence de
dissémination des pollens transgéniques, de
"doutes
sérieux", en toutes lettres et dans le texte de l'avis, on ne trouve pas
de traces. Fulcanelli,
un des rares à commenter le rapport sous un angle
scientifique, n'y voit rien de bien neuf ni de vraiment probant, au
contraire. Un des faits nouveaux relevés précise
en effet
que la culture du maïs transgénique se
révèle
significativement moins nocive que l'association habituelle de
variétés hybrides et d'insecticides.
L'échafaudage
qui permet de s'appuyer sur une conséquence positive du
maïs Monsanto pour en interdire la commercialisation au
prétexte de la nouveauté de celle-ci
paraît
remarquablement bancal. Il suffit pourtant à
Jean-François Le Grand pour prononcer la phrase
libératrice, et constater l'existence de ces doutes
sérieux. Malheureusement pour lui, dans son
comité, tout
le monde ne partage pas cette opinion : quatorze de ses
trente-quatre membres ou, pour compter d'une manière un
petit
peu moins tendancieuse que le Nouvel Obs,
douze des quinze membres de sa section scientifique, contestent
l'interprétation du rapport rendue par le
président,
lequel, à son tour, interprète leur
contestation. Il n'empêche : les mots magiques sont
prononcés, le Ministère du
Développement durable peut constater, et agir en
conséquence en suspendant
la commercialisation du MON 810, mesure assortie d'un lot de
consolation aux perdants d'un montant de 45 millions d'euros. Cela ne
plaît pas à
tout le monde, écrit Authueil qui lit Le Figaro :
dans les couloirs, à Matignon, à
l'Assemblée, on
règle quelques comptes. C'est que, de retour dans leurs
campagnes, les députés UMP risquent de vivre
quelques
moments pénibles avec leurs électeurs FNSEA.
Au moins, Bruno Latour devrait être content. Dans
une tribune parue
dans Le Monde début 2000, il plaidait pour ce principe de
précaution, qu'il distingue soigneusement de l'ordinaire
prudence dont tout un chacun fait preuve dès qu'un risque
est
pris. Contre le scientisme des experts, qui ont longtemps
disposé d'un monopole sur des décisions pourtant
lourdes de conséquences pour la
société, ce
principe redonne son autonomie au politique. Libre à lui,
s'il
considère malgré l'avis scientifique que
subsistent des
doutes sérieux, de prendre une décision contraire
aux
recommandations des experts. En apparence, pour le MON 810, les choses
se sont bien passées ainsi. Mais l'on est allé
trop loin.
L'ambition incoercible d'une jeune ministre jouant contre son camp,
l'évidence de plus en plus flagrante d'un marchandage
avec les activistes écologiques, par lequel le pouvoir
abandonne
les biotechnologies, qui ne sont de toutes façons
guère
dans les traditions nationales, pour sauver le nucléaire,
l'élaboration aléatoire d'une combine si
malhabile qu'on
se dit que l'Elysée ne peut pas être dans le coup,
tout
indique, non seulement que l'affaire était jouée
d'avance, mais qu'elle a été
singulièrement mal
montée. En d'autres termes, ce qu'on voit là, ce
n'est
pas l'application du principe de précaution au sens de Bruno
Latour, mais bien l'un de ces bons vieux compromis politiques, dans
lequel l'avis du comité, scientifique ou pas, n'a comme
toujours
qu'une valeur symbolique, et qui n'a d'autre originalité que
de
marcher à fronts renversés.
Paradoxalement, et pour utiliser un argument de sens commun, l'OGM sort
vainqueur de la bataille : s'il est indispensable de monter un
tel
échafaudage, et de se satisfaire d'une construction aussi
branlante, pour justifier son interdiction, c'est que les
données scientifiques relatives à sa
nocivité
doivent être singulièrement minces. Et rien ne dit
que
l'Europe suivra tant, à l'inverse des affirmations
répandues ça et là, la France semble
isolée : difficile de compter les autres
prohibitionnistes,
l'Autriche, la Grèce, l'Ecosse ou le Pays de Galles, au
nombre
des grands producteurs de céréales. Alors, ce que
l'on
constate, au fond, c'est l'impossibilité d'une absence de
contamination des analyses du champ scientifique par les
impératifs du champ politique.
Commentaires
Cette décision relève effectivement de la pantalonnade. Il fallait attendre un avis dont on sentait bien que, s'il n'allait pas dans le sens de l'interdiction, le gouvernement aurait été bien embêté. Malheureusement, il existe toujours parmi les scientifiques quelques esprits forts ou chagrins (c'est selon) qui ne peuvent s'empêcher de s'émouvoir quand on change malencontreusement, mais fort opportunément, le sens de leurs propos.
Il faut noter aussi l'incroyable sens de l'hygiène de José Bové, qui a entretenu son corps en faisant carême un mois et demie à l'avance (mais pour 2 jours seulement, il y a des limites à tout), corrigeant en cela les excès commis durant les fêtes.
Il existe toutefois un gros problème avec ce compromis boîteux: on ne peut que très difficilement empêcher l'importation de semences OGM d'autres pays de l'UE. Une fois plantées, il sera quasi impossible de les différencier des autres parcelles de maïs. En bref, des agriculteurs pourraient enfin planter en toute tranquillité des OGMs. Si du côté du nucléaire, l'augmentation des puissances des réacteurs (1.6 GW l'EPR contre moins de 1GW pour les premiers PWR) permet de ne pas avoir besoin de nouveau sites; il faut toutefois rester prudent, puisque les associations écolos sont assez maximalistes comme l'a amplement montré le déroulement des événement pour les OGMs. Par ailleurs, on peut se demander ce qui a poussé le gouvernement à rechercher le soutien des écolos: le nucléaire est très bien vu près des centrales... Pas de problèmes, donc, pour y construire de nouveaux réacteurs. Pour ce qui est du protocole de Kyoto et les émissions de CO2, les écolos n'ont rien de bien violent, et surtout, leur diminution ne répond pas qu'à des critères d'écologie, les hydrocarbures étant franchement très mal réparties à la surface de la planète!
Je pense donc qu'il n'y a surtout des cocus et des gens qui vont passer pour des petits rigolos sur la photo du Grenelle de l'environnement.
C'est bête, les écolos auraient pu obtenir des objectifs chiffrés en matière d'utilisation de pesticides en échange d'OGMs... Des résultats tangibles, quoi!
au niveau du commentaire scientifique, il y a toujours le c@fe des sciences : ici un billet de Benjamin sur la question bacterioblog.over-blog.co...
Effectivement, les scientifiques du comite se rebellent car on les a utilises, instrumentalises, pour une decision politique. Decision qui n'est pas forcement illegitime mais qu'on aille pas leur faire dire ce qu'ils n'ont pas dit !
'' Outre le groupe Monsanto, qui produit le MON 810, les producteurs de maïs de l'AGPM ont accusé Jean-François Le Grand d'avoir fait une synthèse orale des travaux "délibérément erronée et manifestement préfabriquée sur commande."
Ils réaffirment dans un communiqué que les éléments figurant dans le rapport ont été déjà considérés lors d'autres examens, en France ou en Europe. "Tous ont reconnu l'innocuité du maïs MON 810 à la fois pour la santé et l'environnement", écrivent-ils.''
Franchement, on dirait pas un peu du Microsoft ? :) (tu sais, genre leur sortie à propos de l'AFNOR, ou leur avis sur l'Europe qui met le nez dans leurs affaires, ce cri du coeur du faible -- hum -- injustement privé de son droit) Moi je dis, on attend 30 ans, et on regarde si les voisins ont toujours deux bras et deux jambes après ; ça aurait évité de dépenser des 2 milliards d'Euro pour désamianter Jussieu (le plus drôle, ça va être Montparnasse), ou de tuer toutes les vaches du pays ; parce qu'à l'époque, tout le monde disait qu'il n'y avait strictement aucun problème en vue, hein. Quand un groupe aussi énoooooorme que Monsato te dis que merde, on a fait des études, personne après avoir bouffé du pop corn transgénique au ciné n'a développé de cancer dans les trois mois suivant, c'est pas que je dis qu'ils me prennent vraiment pour un couillon, mais quand même... Et tu sais que les moustachus, c'est comme les anti-nucléaire, ça me tape sur le système. C'est juste un truc de scientifique : reconnaître qu'on ne sait pas (ce qui a été dit, et interprété librement, parce que sinon ça passe pas bien à la télé, paraît) ; et d'ingénieur aussi : prévoir dans ce cas-là le pire cas.
A part ça, effectivement, ce n'est que de la manoeuvre politicienne, mais ça ne change pas de d'habitude, d'un autre côté...
T'as raison Palpatine : les ondes électro-magnétiques des téléphones portables, si près du cerveau, on sait jamais, c'est peut être nocif. Attendons trente ans voir si les jeunes développent pas des cancers. D'ici là, de toute façon, avec ce qu'ils se mettent en permanence dans les oreilles, ils seront devenus sourds. Et les Chinois, eux, auront osé, et le marché du téléphone mobile appartiendra à Huaweï et ZTE. D'ailleurs, ça commence à y ressembler. Quant au MON 810, il est cultivé depuis dix ans : plus que vingt à attendre.
Les comparaisons avec l'amiante ou les PCB n'ont aucune pertinence, parce qu'elles sont anachroniques. Il n'y a pas de raison de suspecter a priori que l'on a pris moins de précautions avant d'employer ces produits qu'avec les centaines d'autres composés mis sur le marché à la même époque, et qui n'ont posé aucun problème. C'est un peu comme si on reprochait aux Espagnols d'avoir introduit la variole qui a dévasté les populations d'Amérique du Sud, alors même que les microbes seront découverts quelques siècles plus tard. L'amiante, de plus, présente un cas intéressant à analyser, puisque son caractère cancérigène était démontré bien avant son interdiction effective : seulement, les populations concernées, ouvriers peu qualifiés de l'industrie ou du bâtiment, étaient autrement moins à même de faire bouger les pouvoirs publics que les chercheurs de Jussieu.
Sinon, l'idée de la culture illégale du maïs transgénique est séduisante : c'est ainsi, d'ailleurs, que le soja OGM est passé d'Argentine au Brésil. Dans le Sud-Ouest, grosse région productrice, à côté de l'Espagne, on pourrait enfin cultiver en paix, et ne plus avoir à déclarer ces champs dénoncés aux faucheurs potentiels via Google Maps.
L'article de Benjamin me paraît moins complet que celui de Fulcanelli, avec lequel on peut d'ailleurs le recouper, et il est postérieur à la rédaction de mon billet. C'est que je l'ai mis en ligne avec un jour de retard, à cause de problèmes désagréables avec ma base MySQL, problèmes que j'ai résolus d'une manière qui me semble douteuse (installer une sauvegarde du blog qui a remplacé les tables existantes). D'ailleurs, l'heure de la grande migration approche, et il se pourrait que mes sites soient souvent peu accessibles d'ici la fin du mois. (ha, quelqu'un sait comment appliquer un style au "widget" calendrier dans Dotclear 2 ?)
Denys,
la culture incognito risque bien de se répandre. Les agriculteurs ne sont pas fous, et s'ils notent une amélioration avec les OGMs, écolos ou pas écolos, faucheurs ou pas faucheurs, ils planteront de l'OGM. D'ailleurs des voix discordantes dans le brouhaha bovéziste se font entendre, comme l'a montré un article de Sud-Ouest, dont on peut retrouver un écho ici:
www.agrisalon.com/06-actu...
Mais il y a un gros problème: tous les OGMs ne sont pas basés sur une bonne idée. L'idée du Roundup-Résistant me paraît par exemple nettement moins bonne que le maïs Bt par exemple. On aurait alors des agriculteurs qui traitent toujours autant et des OGMs. Je ne vois pas très bien le bénéfice dans ce cas.
Excusez-moi, pour ce commentaire redondant avec le précédent, mais l'article original de Sud-Ouest est toujours en ligne ici:
www.sudouest.com/180108/a...
Avec cette manie de caricaturer le discours de vos contradicteurs, voici ce qu'on peut faire du vôtre:
"Et surtout, en développant cette technologie à grande échelle, grâce au pathologies qui commencent à être détectées, faisons faire des bonds à notre recherche médicale (il est notoire que les guerres coloniales - notamment l'indo - furent des vecteurs incontestables des progrès de la chirurgie et de l'anesthésie, comme le déclarait le fondateur des SAMU lyonnais, lui-même chirurgien militaire. Il serait criminel de laisser échapper un avantage comparatif de ce calibre."
C'est bien connu, le progrès c'est comme le cochon: tout y est bon, à condition, bien entendu d'avoir l'humilité d'admettre qu'il n'est pas forcément là où l'on croit.
Quant aux espagnols, là-aussi vous manquez de modestie:
-d'une quand on connaît les conceptions de la reproduction physiologie des grecs anciens, sans parler de leurs penchants culturels, on peut s'étonner qu'ils aient réussi à se reproduire sans description correcte de la fonction.
-de deux, il existe une corrélation simple mais assez troublante entre la baisse du contrôle moral ecclésiastique, une fois la première grande période de colonisation achevée, et la disparition massive de certaines populations avec un soupçon assez fort d'empoisonnement des puits.
Votre dévoué
Tiens, je suis d'accord avec les premières lignes de Porfi. Je ne vois vraiment pas ce que le risque de laisser le marché de la téléphonie aux mains des Chinois vient faire là-dedans ...
Risque sanitaire et/ou environnemental contre risque économique, le match est joué avant même que le coup d'envoi ne soit sifflé.
Avec du retard... Téléphone portable, eh bien justement, on n'en sait rien, je peux juste te dire que les relais TNT sont extrêmement nocifs (on développe derrière un gros blindage cage de Faraday), que les lignes à haute tension aussi, mais maintenant à petite dose, et étant donné la rapide obsolescence du produit (on voit déjà apparaître partout des oreillettes bluetooth, pour ceux qui s'en servent le plus), on ne mesurera certainement jamais les effets ; remplacer toutes les cultures est en revanche plus risqué (les 10 ans de test étaient sous serre, pour rappel, c'est comme si tu me disais que la variole n'ayant tué qu'une personne ces vingt dernières années n'est plus dangereuse, quitte à caricaturer), et entre se faire frire le cerveau et faire mumuse avec le génome des espèces vivantes, il y a comme une différence. Pour ce qui est des expériences rigolotes inoffensives (a priori) avec la nature : www.journaldunet.com/scie... (tu me diras, tout un chacun ayant un wii sait que le lapin crétin est très dangereux ; certes). Et sur le côté éthique (amusons-nous à changer le génome de ce que l'on cultive, on y réfléchira plus tard, c'est pas dans le business plan), je renvoie aux débats sur le clonage (qui n'est pas dangereux, en soi, on n'est d'accord ; sauf dans "l'attaque des clones", j'en sais quelque chose avec mon pseudo).
Sinon, d'un point de vue économique, autre question que je posais chez Authueil (sans réponse) : ça sert à quoi de produire plus de (super-)maïs à pop corn alors que l'on lutte contre l'obésité ? (si tu me dis "tiers monde et famine", je risque de pleurer de rire, hein, attention ! La naïveté a des limites...)
Le pop-corn, c'est pour les américains ; le maïs, ça sert à nourrir le bétail, tu sais, ces beaux poulets Label Rouge élevés au bon grain. Il fut un temps, dont je ne sais pas s'il est encore d'actualité, où les éleveurs qui plantaient du maïs pour nourrir leur bêtes recevaient des subventions pour le bétail et, en tant que production céréalière, pour le maïs.