Les choses se passent toujours comme ça. On avait longuement préparé son nouveau serveur, conduit vers la version 2.0b7 de Dotclear une migration sur laquelle il faudra revenir, tant elle se montre riche en difficultés imprévues, imaginé une nouvelle esthétique sans ambiguïté, et sans concessions, et c'est précisément, comme par un fait exprès, ce moment où l'on était occupé ailleurs et pour quelques jours que Daniel Bouton, PDG de la Société Générale, a choisi pour annoncer que sa banque venait d'exploser le record mondial des pertes causées par un trader fou, laissant son ancien détenteur, Sumitomo, quelques milliards derrière. Mais la vigueur de l'onde de choc ainsi créée, le tumulte qui l'accompagne, la puissance de ses retombées potentielles, les interrogations qu'elle suscite, valent bien, même avec quelques jours de retard, d'y consacrer un petit billet, en se demandant d'abord quel mauvais génie pouvait bien habiter Jérôme K.
Jérôme, comme le précisent la banque et Alexandre Delaigue, était chargé de réaliser des opérations d'arbitrage sur les grands indices boursiers européens, Dax, Footsie ou Eurostoxx, indices qui regroupent les capitalisations les plus importantes, donc normalement les moins volatiles. Il gagnait, en d'autres termes, un peu d'argent de poche sur des actifs réputés peu risqués ce qui, sans doute, lui semblait aussi peu exaltant que sa rémunération, somme toute assez modeste. Il semblerait que son activité frauduleuse, entamée à petite échelle en 2006, ait gagné en intensité au cours de l'année 2007, pour atteindre un pic en ce mois de janvier où il aurait parié ces dizaines de milliards d'euros sur la hausse des indices ; or, cela paraît bien curieux. C'est que, depuis avril 2007, les marchés baissent, et cette baisse s'accentue de plus en plus depuis le mois d'octobre, pour se muer en franche débâcle depuis le début de l'année. Invoquer la compulsion du joueur désirant se refaire après des pertes initiales en doublant sa mise ne suffit sans doute pas à expliquer ses prises de positions à contre-courant, de plus en plus énormes : peut-être cherchait-il, inconsciemment, à perdre, et à être démasqué, pour que son histoire finisse, ce qui lui est en effet arrivé. Réussissant à mettre en défaut les procédures de contrôle de son employeur, il démontre en tout cas à qui en doutait la capacité de l'université française à former des professionnels de première qualité, même si leur efficacité ne s'exerce pas exactement là où on l'attendait, puisque sa réussite essentielle restera d'avoir trompé la vigilance de ces Polytechniciens que l'on dit présents en abondance dans les circuits bancaires.

A court terme, l'affaire aura pour le monde de la finance au moins deux conséquences. En débouclant les positions de son trader fou en plein lundi noir, en vendant ses contrats à vil prix, la Société Générale a donc offert au marché une profusion d'occasions d'achat à bon compte, ce dont le vigoureux rebond du lendemain peut témoigner : elle a donc, pour une fois, provisionné ses pertes, et mutualisé ses opportunités de gains. Certains ne doivent pas s'en plaindre.
Mais pas ses actionnaires qui, alors que le cours d'une action qui valait presque 160 euros début mai se rapproche aujourd'hui des 70 euros, ne gagnent guère que le droit de participer ou, plus vraisemblablement, d'assister, à une recapitalisation qui diluera un peu plus leurs avoirs. Évidemment, la valeur ainsi perdue pourra profiter à d'autres, et les futiles mises en garde d'Henri Guaino comme les rituels 2,07 % du capital et 2,9 % des droits de vote que la Caisse des Dépôts détient dans l'entreprise risquent de former une barrière bien mince, face aux ambitions du repreneur potentiel d'une société dont les trois quarts du capital sont en bourse. On a déjà quelques noms en tête, en particulier celui de BNP Paribas, dont la vocation contrariée à absorber SocGen date déjà de plus de dix ans.
Pour William Irigoyen, d'abord soucieux, comme tout présentateur de journal télévisé, de trouver l'accroche qui parle à son public, la Société Générale était cette banque dont la publicité proclamait à quel point l'argent de ses clients l'intéresse. Le M. je-sais-tout de la rédaction d'Arte démontre ainsi combien le fait de parler d'argent sans détour reste un crime aussi universel qu'imprescriptible, puisque celui-ci a eu lieu voici trente-cinq ans, et a été commis par la BNP. Mais il se pourrait, en l'espèce, que sa bourde devienne prémonition.