Qui a osé dire de Bertrand Delanoë qu'il avait la rancune tenace et le caractère de cochon ? Le voilà qui, malgré une historique déroute électorale qui leur a fait perdre la moitié de leurs sièges au conseil municipal, offre aux Verts quatre postes d'adjoints. Quatre postes pour neuf élus : même si la composition exacte du conseil et de ses groupes politiques n'est pas encore en ligne, et qu'il est pour l'instant difficile de se livrer à des calculs élaborés, Le Monde recensait au lendemain du second tour 99 élus pour la majorité, alors qu'on dénombre 36 adjoints. Les Verts obtiennent donc un peu plus d'un poste pour deux élus, là ou le socialiste ordinaire doit se contenter d'en avoir de l'ordre d'un sur trois. Le prince, dans la victoire, se montre généreux, et magnanime, même s'il donne à ses alliés Verts des postes somme toute assez peu stratégiques, mais tout à fait dans leurs cordes. Ainsi, entre la petite enfance confiée à Christophe Nadjovski, les espaces verts qui reviennent à Fabienne Giboudeaux et les handicapés dont sera chargée Véronique Dubarry, ils disposeront de tous les atouts nécessaires pour revendiquer le monopole de la gestion des bacs à sable. Chef de file éliminé au premier tour, Denis Baupin abandonne quant à lui les transports pour une tâche plus noble, plus vaste, et largement plus symbolique, l'environnement en général, et l'application du plan climat en particulier. On peut parier qu'il mobilisera toute son énergie pour faire fermer les incinérateurs des ordures parisiennes éparpillés en banlieue, voire pour boucher le grand siphon qui collecte les eaux usées de la capitale et empuantit la vie des riverains de l'usine du SIAAP de Clichy-la-Garenne.

Pour les transports, qui restent après tout la préoccupation essentielle du banlieusard, on traitera donc désormais avec une voisine, Annick Lepetit. Son mandat municipal lui ayant largement permis de comprendre le cauchemar de la ligne 13, il n'y a, du côté des transports collectifs, sujet par ailleurs assez peu polémique, rien de surprenant à attendre. On s'intéressera plutôt, pour échafauder de vaines spéculations sur la façon dont son expérience parlementaire la conduira à traiter cette forme particulière de déviance qui consiste à revendiquer le droit de se déplacer de façon systématique en deux-roues motorisé, sur un engagement qui semble lui tenir à coeur, puisqu'elle appartient au groupe d'étude parlementaire consacré aux sectes. Or sa position en la matière semble totalement s'aligner sur celle de l'organisme spécifiquement chargé, au sein de l'appareil d'État, de traiter cette question, la Miviludes.
Dès lors, elle s'oppose frontalement à cette assez considérable quantité de sociologues spécialistes des religions, dont les opinions, qu'elles soit donnés à titre individuel comme chez Sébastien Faith, ou qu'elles revendiquent une position collective comme dans la tribune de Raphaël Liogier parue dans Le Monde, convergent pour décrire cette Mission interparlementaire comme possédée de sa mission même, fabriquant un danger imaginaire qui justifie l'existence des associations prohibitionnistes dont elle se fait l'echo, et évitant soigneusement de prendre en compte le moindre avis scientifique. Ainsi, ses préoccupations peuvent rapidement tourner au grotesque, en particulier quand elle prétend étudier avec sérieux ce merveilleux sujet de fiction pour journal télévisé, le satanisme. Sans doute s'agit-il là, avec le retour de la bête immonde qui ravit les enfants, de la meilleure expression possible d'un fantasme qui reprend, au sens propre, l'archaïque thème de la chasse aux sorcières. Aussi faut-il s'attendre à ce que l'intervention du simple bon sens vire à la critique assassine, comme celle qui paraît, toujours dans Le Monde, sous la plume d'Olivier Bobineau, lequel, en lieu et place des 25 000 adeptes de la mouvance sataniste que dénombre la Mission, n'en a trouvé qu'une centaine. C'est que le critère par lequel la Mission définit le suppôt du Malin, le "contact avec", semble furieusement extensif ; du seul fait d'avoir assisté à un concert de Marilyn Manson entouré de sympathiques petites gothiques, à coup sûr, Palpatine est du nombre.

Certains auront peut-être compris où l'on souhaite en venir : par son statut, organisme interministériel singulier rendant directement compte au Premier Ministre, par sa composition, où l'on retrouve des hauts fonctionnaires, des associations de victimes, et ces personnalités qualifiées nommées par le seul Premier Ministre, par la façon dont elle détermine souverainement aussi bien le périmètre de son intervention que l'objet de son ressentiment, par la manière enfin dont elle peut, comme on la vu plus haut, s'affranchir de toute rigueur scientifique, la Miviludes ressemble comme une soeur jumelle au Comité Interministériel de Sécurité Routière. Il s'agit, dans un cas comme dans l'autre, de défendre une orthodoxie sociale contre des pratiques qui n'ont d'autre défaut que d'être marginales, obscures, et essentiellement propres à la jeunesse ou, en d'autre termes, de rassurer les parents en condamnant les enfants et, plus encore, ceux dont on croit qu'ils les influencent. Mission comme Comité délimitent un champ autonome, recrutent des participants dont la diversité n'est qu'apparente puisqu'ils sont choisis en fonction de leur adhésion à un objectif commun, produisent, et reproduisent, un mode de fonctionnement scientifique nourri de publications sans validité, et fournissent à la presse télévisée ce quota de bonne conscience et d'information sensationnelle qui suffit à obtenir son plein appui. Et puisque le scientifique est hors jeu, l'élu reste seul en mesure de s'opposer à ces pratiques. Aussi, on attend d'Annick Lepetit, dans ses nouvelles fonctions municipales, qu'elle ne suive pas docilement les avis du CISR, et qu'elle reconnaisse aux deux-roues motorisés la place qui revient aux citoyens qui les conduisent ; on espère ne pas voir dans son appui inconditionnel à la Miviludes un mauvais présage.