Sur les bancs de l'Assemblée, comme le rapporte notre correspondant permanent toujours en première ligne, Authueil, la guerre est déclarée, et le combat fait rage. Dans l'entrelacs de tranchées, il est d'autant plus difficile de distinguer les positions de chacun que, à force de compter les votes de députés UMP appuyant des amendements socialistes ou communistes au projet de loi réglementant l'emploi d'organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture, elles recouvrent de moins en moins les appartenance politiques nominales. C'est que l'on assiste là à la floraison d'un phénomène que l'on sentait en germe depuis certaine embrassade, la fronde du député UMP anonyme, mais souvent élu dans une circonscription rurale, contre la secrétaire d'État, Nathalie Kosciusko-Morizet. Car tout le monde, et elle la première, a compris que c'est bien de cela qu'il s'agit ; et ce qui est en jeu dépasse largement sa personne, et peut se deviner derrière une remarquable intervention datant de l'après-midi du mercredi 2 avril, oeuvre de Jean-Yves Le Déaut.

Pour les habitués de ce carnet, le député socialiste de Meurthe-et-Moselle n'est sans doute plus un inconnu. En effet, la formation scientifique de ce pilier de l'OPECST fait de lui un oiseau rare  : docteur en biochimie, il a été durant quinze ans professeur de biochimie à l'Université de Nancy où il dirigea l'UER de biologie et le laboratoire de biosciences de l'aliment. Inutile, en d'autres termes, de chercher sur les bancs de l'Assemblée député plus qualifié pour traiter de la question. On comprend que, en dehors de l'atteinte à son amour propre, le fait que l'on n'ait pas jugé utile de le convier au Grenelle de l'environnement, lui qui, député et biologiste, pouvait à double titre prétendre y participer, mérite que l'on s'y arrête.
Car, de plus en plus, cette négociation qui n'en était pas une prend la valeur d'un paradigme novateur, où l'on voit l'exécutif oublier le législatif pour imposer une politique négociée avec des groupes de pression privés de la légitimité des urnes, puisque personne ne les a élus. Pour contourner la difficulté, tout un appareil de justification a été mis en place, qui fonctionne, en quelque sorte, par mimétisme, en reproduisant des mécanismes existants, mais sur un mode fictif. Ainsi en est-il du Grenelle lui-même. Idée magistrale, l'emprunt de ce terme permet, d'un seul mot, de récupérer toutes les propriétés du Grenelle d'il y a quarante ans, de ce moment où, en pleine crise politique, ces partenaires sociaux que l'on ne qualifiait pas encore de représentants de la société civile s'étaient accordés pour apporter des avancées décisives à la situation des salariés, sans que l'État semble imposer quoi que ce soit. Sauf que les vrai accords de Grenelle ont, eux, été négociés entre organisations représentatives parce qu'elles avaient au préalable satisfait à des critères réglementaires stricts, et portaient uniquement sur cet étroit domaine qui relevait de leur compétence presque exclusive, l'organisation du travail.
La large consultation du Grenelle de l'environnement où l'on a juste oublié de faire une place au plus qualifié des représentants du peuple souffre donc d'un handicap majeur, l'absence de légitimité de ses participants, désignés par le fait du prince. Pour y pallier, l'arme ultime de l'organisation écologiste, comme de la presse avec laquelle elle partage intérêts et méthodes, c'est le sondage, cette formidable invention que l'on peut embellir des atours de la scientificité tout en sachant fort bien qu'il suffit de poser la question qu'on veut de la manière qui convient pour obtenir la réponse qu'on attend. En brandissant le résultat du sondage, et sa massive condamnation publique des OGM, on peut faire comme si le peuple avait voté quand bien même, dans l'isoloir, il se comporte différemment. Il est simplement dommage que l'on ait omis de lui poser la question préalable, en lui demandant de définir précisément ce qu'est un OGM. Nul doute que l'avis populaire y aurait beaucoup perdu de sa crédibilité.

Sortie de Polytechnique en 1992, Nathalie Kosciusko-Morizet a choisi le Corps des ingénieurs du génie rural, au prestige plutôt discret : si son rang de sortie lui permettait de viser plus haut, le choix de cette spécialisation révèle une intention politique qui, à l'époque, n'avait plus rien de visionnaire, mais qui constitue un investissement rentabilisé dès 2002, avec à la fois une élection à la députation, et un poste de conseiller technique chargé de l'environnement auprès du Premier Ministre, poste qu'elle quittera pour rejoindre ses fonctions actuelles. Le Grenelle est sans doute largement son oeuvre, en particulier ce rejet des OGM qu'elle préparait dès 2005, comme le relève perfidement Jean-Yves Le Déaut. C'est peut-être l'absence de concurrence à droite, et sa certitude d'être indispensable, à la fois par sa double culture technique et politique et par sa manière de se poser en porte-parole exclusif des organisations écologistes qui la soutiennent, qui explique l'audace de sa démarche, et la manière dont elle dédaigne oppositions et inimitiés dans son propre camp.
Ce projet de loi, que l'on peut résumer d'une ligne en constatant qu'il pose tant de contraintes à l'utilisation des semences produites par génie génétique qu'il en interdit de facto l'usage, ne méritait sans doute pas meilleur sort que le renvoi en commission demandé par Jean-Yves Le Déaut. Le passage en force vire au mélodrame, laissera des traces, et réclamera peut-être une victime. On comprend que, de l'avis général, c'est à dire celui d'Authueil, et le mien, l'avenir à court terme, voire même un peu plus, de Nathalie Kosciusko-Morizet soit en jeu ; pour les développements, voir en face, et plus tard, au Sénat.