Il arrive donc bien que l'histoire repasse les plats. Quinze ans après l'abandon de cette Tour sans fin, exploit technique coincé sur un bout de terrain impossible justement dénommé triangle de La Folie, avec son tube de 500 mètres de haut enfoncé sur un socle de granit noir, et sa peau de plus en plus diaphane à mesure que l'on s'approchait d'un sommet dont Jean Nouvel avait prévu, avec un certain réalisme, que, compte tenu des conditions météorologiques habituelles sur la capitale, il disparaîtrait souvent dans les nuages, le récent lauréat du prix Pritzker gagne le concours de la seconde chance et de la tour Signal. La tâche du jury, en choisissant cet élu parmi les cinq finalistes, ne présentait d'ailleurs pas de difficulté particulière, tant seul le travail de Foster and Partners, cet enroulement en hélice maintenu par une structure dorée, évitant, à l'inverse d'autres candidats, toute citation de la tour Swiss Re qui fut un peu la matrice de toute une génération de bâtiments du même type, pouvait, par sa qualité comme par les références de son auteur, faire de l'ombre au projet Nouvel. Les cristaux aux formes complexes de Jean-Michel Wilmotte ou Daniel Libeskind comme le projet mégalomaniaque de Jacques Ferrier, inscrivant dans l'espace l'initiale du nom de son promoteur, Hermitage, et ouvrant ainsi la voie aux détournements sarcastiques, manquant, à des degrés divers, de cette singularité qui semblait pourtant la raison d'être du concours.
Il y avait, à l'évidence, bien plus d'inventivité chez les éliminés, mais sans doute aussi, à part avec l'OMA de Rem Koolhaas ou chez Jean-Paul Viguier, pas assez d'expérience et de notoriété pour espérer emporter un concours de cette taille. On ne verra donc jamais l'empilage d'hexagones de Manuelle Gautrand, dont le projet se montre pourtant moins fascinant que sa proposition pour cet autre concours perdu quelques mètres plus loin, celui de la tour Phare, avec son incroyable entrelac de dentelle aux motifs circulaires, pas plus que les fuseaux jumeaux de DGLa, qui rappellent, eux, quantités de références, de Swiss Re à Aigües de Barcelona, sans oublier cette inspiration revendiquée par les auteurs, l'inévitable Sagrada Familia.

Sorte de mélange entre la richesse visuelle de la tour Agbar et l'orthogonalité toujours de mise à La Défense, le bâtiment des Ateliers Nouvel semble, si l'on laisse de côté les images exubérantes de sa décoration intérieure, bien sage : au moins, avec sa hauteur, avec ce qui ressemble à de gigantesques murs d'images visibles depuis la capitale et qui possèdent un indéniable côté Blade Runner, répond-il parfaitement à sa fonction de signal. Au premier abord, on voit donc mal ce qui justifie les attaques dont il est l'objet de la part de Joëlle Ceccaldi-Reynaud, maire de la commune sur lequel il devrait être construit, et célébrité involontaire de la blogosphère politique. Elle motive son opposition par des considérations esthétiques ; en la matière, sa position revient à affirmer que l'on dispose de toutes les qualifications nécessaires pour contester le choix du Nobel de médecine du seul fait d'être un assuré social. Et sa définition de la bonne architecture, les tours de la Société Générale construites par Andrault et Parrat, architectes du Front de Seine et fossoyeurs du CNIT, montre à quel point celles-ci restent perfectibles.

S'il s'agit pour elle, comme l'écrit Christophe Grébert, de saisir la première occasion de montrer qu'elle existe, si l'on imagine qu'un rapide rappel à l'ordre calmera ses velléités d'instrumentalisation du POS, le seul fait qu'une personne dénuée de toute qualité en dehors de son mandat électif juge pertinent de critiquer publiquement la qualité esthétique d'un travail d'architecte, et de contredire ainsi le choix du jury auquel elle appartenait, mérite quelques considérations. Car le jury de cet appel à projets, composé de politiques et de gens de l'EPAD, et de politiques dirigeant l'EPAD, n'en était pas le maître d'oeuvre, le soin d'investir énormément d'argent dans une construction de prestige étant laissé à des promoteurs privés. Le jury n'intervenait, en quelque sorte, qu'en seconde main, choisissant l'heureux élu parmi ceux qui avaient déjà réussi à convaincre un commanditaire. La démarche de Joëlle Ceccaldi-Reynaud, marquise traitant son architecte comme jadis à la cour, n'en est que plus significative des comportements faits de vanité et d'ignorance si fréquents dans ce monde politique, et montre a contrario comment l'architecture, quand elle passe par la commande publique, ne peut réussir à innover qu'avec l'appui d'un maître d'oeuvre compétent et attentif, qui saura se comporter en mécène. Reste à savoir de quelle manière Jean Nouvel lui répondra : comme David Ventre, avec un exposé circonstancié de ses doléances, ou à la Ricciotti, d'une grande claque dans la gueule.