Avec le printemps, avec le quarantième anniversaire de ces événements qui ont fortement secoué la maison, la Préfecture de Police se met au web moderne. Et elle ne se contente pas d'un ordinaire ravalement de façade, avec une page d'accueil simple et discrète ornée d'un très joli bandeau en nuances de gris : elle qui, à l'inverse de tant d'organismes publics, fut pendant si longtemps une forteresse férocement avare de ses informations, évitant en particulier de diffuser ses statistiques d'accidentalité routière, s'ouvre. Ainsi, on avait à peine eu l'occasion de saluer cette innovation majeure, la publication de son bilan pour l'année 2007, que la Préfecture lançait, à la mi-avril, sa lettre d'information hebdomadaire à destination du grand public, qu'elle titrait, sans juger utile de faire preuve d'une imagination exagérée, PPrama. Cet opuscule, aussi concis que percutant, n'a visiblement pas pour seul objectif de régaler les foules d'anecdotes pittoresques, le délit de fuite d'un batelier pilotant un convoi de péniches, et qui sera bêtement rattrapé dès la première écluse, ou cette percée technologique décisive que représente l'invention de la chaussette pour chiens. Il s'agit aussi pour la Préfecture de manier le bâton, ce qu'elle sait si bien faire, et de profiter de la moindre occasion, en l'occurrence la Fête du vélo organisée par le Conseil National des Professions du Cycle, pour affirmer son rôle répressif. La dernière livraison de PPrama revient ainsi sur l'accidentalité des cyclistes, en insistant sur l'augmentation de celle-ci au premier trimestre 2008, par rapport à la même période en 2007 : 21,4 %. Certes, on concède, du bout des lèvres, que cet accroissement préoccupant est, pour partie, et pour partie seulement, dû à l'augmentation du parc. Mais on se doit de réagir, en mariant, comme à l'accoutumée, cette conception de la prévention où l'on adopte la posture sans grande originalité de l'adulte bienveillant sermonnant un enfant, et répression. Un tel discours, concernant les cyclistes, est relativement neuf : et l'intérêt de cette nouveauté tient en partie au fait que la Préfecture ne reste pas seule à diffuser la bonne parole.

Perdu au milieu des pages perso du Monde daté de dimanche, on trouvait ainsi, dans la rubrique Conso, sous la plume de Michaëla Bobasch, un article significatif. Comme souvent, la rédactrice réagissait à la révolte d'une mère, dont le fils, circulant à vélo sur un trottoir, avait récolté une contravention plutôt sévère : 90 euros. Ailleurs, on se serait sans doute indigné de ce Code de la route exclusivement conçu pour les automobilistes, qui assimile donc tout véhicule, quelle que soit sa taille, sa masse, sa vitesse ou sa dangerosité, à une automobile, et sanctionne indistinctement chaque usager de la même manière. Dans Le Monde, on se contente du scolaire rappel au règlement, avec une longue liste de références à des articles du code, rappel que l'on complète à petites touches : une pincée de statistiques d'accidentalité puisées chez l'ONISR, un peu de répression en direct de la Préfecture, et une démonstration, d'origine canadienne, de l'utilité du casque. Si l'on ne se trouvait pas en train de lire un quotidien de référence, il est vrai dans une rubrique sans prestige et à vocation utilitaire, on jurerait avoir affaire à un document officiel, tant les sources comme l'argumentaire reproduisent avec un parfait mimétisme le discours d'État en matière de sécurité routière. En d'autres termes, on commence à avoir l'impression que le ciel jusqu'ici presque limpide du cycliste urbain commence à s'assombrir, et que le Vélib n'est pas étranger à l'affaire.

Car le succès du vélo libre-service recèle un triple effet pervers. Les cyclistes d'occasion qui empruntent cet objet seront par définition bien moins expérimentés qu'un Eolas, et bien moins protégés qu'un Padawan, adepte du casque et du blouson de motard. Ils circulent de plus sur un vélo singulier, marqué, numéroté, et dont chaque kilomètre parcouru peut donc, si l'on s'en donne la peine, être comptabilisé. Enfin, à la saisonnalité inhérente à la pratique du deux-roues se joint un paramètre chnonologique : entré en service au milieu de l'été dernier, le Vélib se prépare à connaître sa première saison de plein déploiement. On pourra donc disposer, à l'automne, et pour la première fois à Paris où le parc de vélos ordinaires n'était pas plus connu qu'ailleurs, des moyens d'établir des statistiques d'accidentalité, comme d'infractions, absolument précises, et nécessairement en hausse. Et la tentation de négliger, comme toujours, les effets de la croissance du parc sera vraisemblablement trop forte pour que la Préfecture y résiste, et refuse de céder à son biais répressif, d'autant que l'on doit avoir l'honnêteté de reconnaître que, question cyclistes et infractions, y'a de quoi faire. Ainsi en a-t-il toujours été des deux-roues motorisés : à n'en pas douter, la capacité des cyclistes à combattre avec succès cette vision unilatérale, qui dépendra de la force de leur position sociale, sera donc du plus haut intérêt sociologique. Et le résultat se lira dans les gazettes : adaptation du Code de la route à leurs spécificités, analyses raisonnées ou, à l'opposé, dénonciations, diabolisations, obligations, et, d'abord, répression.
En attendant, il faudra, comme toujours, et comme d'habitude sans l'appui de la presse grand public, continuer à lire les informations officielles avec le décodeur approprié. Après tout, la même édition de PPrama nous apprend que, dans 25 % des cas, les utilisateurs de deux-roues motorisés sont seuls responsables de leur accident. Ce qui, en faisant abstraction du rôle que jouent ces infrastructures soigneusement conçues pour les faire chuter, n'est jamais qu'une manière de ne pas dire que, dans trois cas sur quatre, les accidents de deux-roues motorisés impliquent un tiers, donc de masquer le fait que, dans trois accidents sur quatre, ce n'est pas le conducteur du deux-roues motorisé qui est responsable de l'accident en question.