Ce ne sont pas les sujets d'actualité qui manquent. Le temps à y consacrer non plus, d'ailleurs, bien que la période soit également propice à des occupations pénibles, salissantes, mais parfois nécessaires. Rénover sa salle de bains, par exemple. Malgré tout, la langueur estivale invite aux sujets faciles ou, du moins, ôte toute envie de se plonger dans l'abîme des lectures indispensables à la production d'une analyse un tantinet personnelle sur la guerre russo-géorgienne. Et puisque la fine fleur de l'EHESS s'y prête, et vous y invite même, on serait malvenu de faire le difficile.
Il s'agit donc de participer à l'une des ces opérations collectives et récurrentes de dévoilement personnel, encore qu'ici, on ne montre pas grand'chose, puisqu'il s'agit seulement de sa bibliothèque. La règle, ouvrir n'importe quel livre à la page 123, ce qui exclut d'office la plupart des bandes dessinées, voire les Repères et les Que sais-je ?, et citer les lignes 6 à 10, est trop simple ; ajoutons donc une contrainte : assis à sa table de travail, l'ouvrage doit être accessible sans qu'il soit besoin de se lever. En l'espèce, ça donne ça :

...ou moins automatiquement (bien qu'il soit malgré tout utile de savoir pourquoi). En 
revanche, les choses ne sont pas si faciles pour l'administrateur du système, car une
erreur infime peut paralyser des applications entières. Le plus souvent, le message :

Permission denied

indique que l'accès au fichier visé est plus restreint qu'escompté.

Et, ma foi, le résultat ne manque pas d'intérêt. Car la matière du livre, pour le profane, ne se laisse pas si facilement deviner. On y trouve certes des termes comme "administrateur système", "applications", "fichier", qui sont d'usage courant dans le domaine informatique, et signalent au connaisseur qu'il pourrait avoir affaire à un manuel d'administration système. Mais les mots employés restent de nature assez générale, et possèdent un sens spécifique et dénué d'ambiguïté seulement parce que, du fait d'avoir acheté le livre, on sait bien qu'il y est question d'informatique, et pas de préparation au concours de l'ENA où des termes identiques, "administrateur", "fichier", trouveront un tout autre sens. A contrario, rien dans ces lignes, les transpositions paresseuses et parfois faites à contre-sens de l'Anglais d'origine, l'ignorance et le mépris de la langue, le dédain du style, l'incapacité à organiser le champ étudié en un ensemble logique et cohérent, ne rapproche l'ouvrage du tout-venant des manuels pour informaticiens. Ses auteurs, et ses traducteurs, appartiennent à cette petite catégorie de spécialistes qui ne se contentent pas de leur qualification, et estiment que leur travail ne se limite à présenter des informations aussi exemptes que possible d'erreurs : ils ont, en plus, cette incroyable prétention d'écrire, et de produire un ouvrage qui ressemble presque à un livre normal, où l'on fait attention à la forme parce que l'on sait qu'elle facilite grandement la compréhension du fond, où l'on se permet aussi quelques pointes d'humour et d'autodérision, et cela même si rares sont ceux qui s'en rendront compte, et que votre éditeur n'est pas près à vous allouer un seul dollar pour ce travail-là.
Il s'agit donc du Système Linux, de Matt Welsh, Kalle Dalheimer et Lar Kaufman, paru, bien sûr, chez O'Reilly. Même si la traduction, qui, par la force des choses, n'est plus l'oeuvre du seul René Cougnenc, se montre moins élégante que celle de la première édition, ce livre reste un grand, et rare, moment d'intelligence en informatique, au sens localisé du terme.