L'occasion est rare, puisqu'elle voit quelques figures lieu-communardes, le gauchiste, le crypto-libéral, exprimer leur plein accord avec l'éditorialiste du Monde : en taxant le capital pour financer le RSA, Nicolas Sarkozy agit dans le sens d'une justice redistributive fort malmenée depuis son accession au pouvoir, puisque, du bouclier fiscal à la réforme des droits de succession qui, abattements aidant, n'intéressait que les plus fortunés, son activisme fiscal s'était assez rarement intéressé à cette France qui se lève tôt pour gagner péniblement son pain à la sueur de son front. En accordant son blanc-seing au projet de Martin Hirsch, en renonçant à le financer grâce à la prime pour l'emploi, en mettant à contribution, à l'opposé, le patrimoine, et lui seul, le président se comporte en authentique homme de gauche et réalise, de plus, un joli coup au dépens d'un Parti Socialiste qui, engagé dans ses grandes manoeuvres, n'avait nul besoin d'une humiliation supplémentaire.
Pourtant, sans doute, peut-être, par la faute d'un excès d'enthousiasme, la véritable portée de cette révolution fiscale semble ne pas avoir été appréciée au mieux par ses commentateurs.

Feu James Tobin, prix Nobel d'économie, avait, à son corps défendant, acquis une célébrité au moins nationale lorsque son idée de taxer à un niveau très faible les mouvements spéculatifs jouant sur les taux de change avait été détournée par Attac, une association qui semble pour l'heure bien mal en point, dans un sens qu'il récusait totalement, puisqu'exclusivement punitif. Au passage, on notera que James Tobin avait comme objectif de protéger les monnaies de pays en développement contre les ravages de la spéculation : le moins que l'on puisse dire est, qu'aujourd'hui, les monnaies en question, pour l'essentiel, se portent comme un charme, sans que Tobin y soit pour rien. Mais son nom reste, bien malgré lui, associé à cette ancestrale diabolisation des revenus financiers propre à ce catholicisme social que l'on retrouve chez Attac comme chez Martin Hirsch, dont l'on voit la trace dans les termes mêmes utilisés pour décrire la décision de Nicolas Sarkozy. On va, en effet, lit-on, prélever chez les plus riches pour aider les plus pauvres, taxer, comme une revanche, comme si c'était original, le patrimoine, le capital, parfois, plus rarement bien qu'il s'agisse effectivement de cela, les seuls revenus de ce capital. Et personne, sinon, en commentaire des billets cités plus haut, les intéressés eux-mêmes, n'emploie, à la place, le terme qui convient, parce qu'il n'est pas, lui, chargé des mêmes connotations négatives, et qu'il fait mal à cette France laborieuse : taxation de l'épargne. Pourtant, du PEA aux livrets bancaires, de l'assurance-vie au produit de ce studio de 12 m² loué pour un tarif exorbitant à un étudiant désargenté, la totalité des revenus de l'épargne sera soumise à cette taxe que l'on dit nouvelle, à la seule exception des placements expressément défiscalisés qui, pour le commun des mortels, se limitent désormais aux 15 300 euros que l'on peut recueillir sur son livret A, ultime cocotier survivant de la jungle défoliée des avantages fiscaux. Subsisteront, il est vrai, quelques maquis résiduels, comme l'exonération d'impôt des plus-values mobilières, c'est à dire de ces sommes extorquées sur le dos des travailleurs en spéculant en bourse, qui reste entière tant que l'on ne franchit pas un seuil annuel de cessions désormais fixé à 25 000 euros. Bouclier fiscal aidant, la taxe pour le RSA frappera dès le premier euro l'épargne la plus modeste, tout en n'affectant en rien les grandes fortunes déjà protégées.

La révolution fiscale date en fait de 1990, lorsque Michel Rocard a créé cette CSG destinée à mettre à contribution tous les revenus, du travail comme du capital, au profit de l'assurance sociale, avec une ponction au très modeste taux de 1,1 %. Presque vingt ans plus tard, par petites touches, en utilisant cette tactique bien connue du saucissonnage générant ici un RDS, là une CSA, et même une contribution de 2 % pour laquelle personne, le stock étant sans doute épuisé, n'a réussit à trouver un acronyme, le taux de cet impôt hors impôt s'élève, pour les revenus financiers, à 11 %. En ajoutant 1,1 % à la contribution déjà existante, on atteindra donc 12,1 %, perçus uniformément, hormis les exceptions mentionnées plus haut, sur tous les revenus de l'épargne. Il s'agira, en d'autres termes, d'une véritable flat tax qui ne s'annonce pas comme telle, et de l'impôt direct le plus rémunérateur pour les finances publiques. La décision de Nicolas Sarkozy, n'est, une fois de plus, frappée d'aucune espèce d'originalité, ne présente pas le moindre risque, et ne signale pas la moindre rupture : tirant un peu plus sur cette même corde qui persiste à tenir bon, elle ne relève que de la facilité.