Rien, sans doute, ne saurait mieux réjouir le coeur sec de l'observateur sarcastique que le spectacle de la vertu se débattant dans les affres d'un vice auquel elle s'est volontairement abandonnée. Et avec Eco-Emballages, un gros poisson s'est fait prendre au piège. Le spécialiste du recyclage des taxes vertes, qui gère la filière de valorisation des emballages ménagers et les fonds reçus des producteurs de biens de grande consommation, s'est, lit-on dans le Monde comme dans le Figaro, attiré les foudres de son ministre de tutelle. Il aurait en effet investi 60 millions de ces euros qui, péniblement récoltés au rythme moyen de 0,6 centimes par emballage, doivent normalement être redistribués aux collectivités locales, dans des paradis fiscaux. A lire la presse, on comprenait pourtant mal l'ire d'un Jean-Louis Borloo, qui semblait se scandaliser de ce seul fait, lequel n'est certes pas convenable, mais absolument pas illégal et, de plus, a même pu se produire à l'insu d'Eco-Emballages, pas nécessairement au courant de la destination géographique des fonds qu'elle investissait. Objectivement, il n'y avait pas là matière à armer un de ces missiles qui font la réputation de la maison. Heureusement, Les Echos sont là.

Feu le Ministère des transports, dans un délicieux communiqué qui démontre combien la vertu écologiste peut s'acquérir à bon compte, puisqu'il suffit simplement de modifier tous les substantifs en leur ajoutant le préfixe eco-, se montrait il est vrai un tout petit peu plus disert que les quotidiens du matin et du soir, en reprochant pour l'essentiel au collecteur d'éco-impôts d'avoir placé sa trésorerie dans des produits risqués, le recours au paradis fiscal ne représentant, au fond, qu'une circonstance aggravante. On dévie donc des pures considérations morales, seules invoquées par la presse grand public, vers un critère plus rationnel de bonne gestion. Mais, sur une pleine page de l'édition de vendredi, Les Echos apportent de quoi mieux comprendre les raisons de la colère ministérielle. En effet, l'information aurait été communiquée à ses services, non par le coupable, mais par un journaliste, Olivier Guichardaz, le spécialiste des déchets au mensuel Environnement & Technique, publication à vocation professionnelle et, comme telle, mieux à même qu'aucune autre de recueillir ces confidences qu'on ne ferait pas à n'importe qui. Ensuite, rapportent Les Echos, cette politique d'investissement, qui ne concernerait que 20 % de la trésorerie de l'entreprise, placée dans ces fonds monétaires dynamiques qui connaissent, depuis plus d'un an, l'enfer, et auprès d'un "organisme financier de Zurich", précision qui exonère de toute responsabilité le système bancaire national tout en laissant l'éventail des suspects très largement ouvert, durerait depuis de nombreux mois. Le commissaire aux comptes ayant, en avril dernier, fait part de son inquiétude face au risque ainsi encouru, la direction financière de l'éco-percepteur a discrètement rapatrié ce qui pouvait l'être. Mais deux fonds représentant un total de 60 millions d'euros restent égarés on ne sait où, et bloqués, leur émetteur restant à ce jour incapable d'assurer leur liquidité. En d'autres termes, si le mystérieux zurichois se révèle finalement insolvable, l'argent de ces 10 milliards d'emballages est perdu.

On se trouve donc face à un problème un peu plus complexe que cette question du paradis fiscal qui passionne la grande presse. La nature de son activité dote Eco-Emballages d'une trésorerie considérable, qu'il est on ne peut plus normal de placer en attendant de la distribuer. La direction financière de l'éco-collecteur a choisi, peut-être de très longue date, d'en risquer une partie sur un marché plus rémunérateur que les produits sans risques, en espérant, bien sûr, en cas de souci, sortir à temps. En avril 2008, il est déjà bien tard pour s'inquiéter puisque, par exemple, c'est dès le mois d'août 2007 que Oddo annoncera son incapacité à assurer la liquidité de certains de ses fonds. Pourtant, elle réussit à en sauvegarder une partie, sans doute substantielle ; mais 60 millions restent bloqués dans les canaux obscurs de la finance d'outre-mer : pour un peu, ça passait et, à coup sûr, on n'aurait alors rien su de la politique financière de l'éco-organisme. Malheureusement pour lui, avec la fin d'année arrive la période du bouclage des comptes donc, fatalement, celle d'un aveu qui aura été repoussé le plus longtemps possible. Prise la main dans le sac, la plateforme d'éco-fisc risque de sombrer, puisque le ministre menace de lui retirer son agrément. Mais par les temps qui courent, son investissement hasardeux n'a rien que de très banal, et ce qu'on lui reproche, en fait, est essentiellement d'ordre symbolique, puisqu'elle a failli à son devoir d'exemplarité. Il ne s'agit pourtant que d'un petit donimo au milieu des milliers d'autres qui composaient cette grande pyramide en train de s'effrondrer.