Le départ de Nathalie Kosciusko-Morizet de son poste de secrétaire d'Etat à l'Ecologie semblait laisser un grand vide, et entraîner une déploration unanime dans le monde des geeks, au point que l'on en vienne parfois à la considérer comme faisant partie de la bande. C'est que, à la différence de tant de politiques, elle dispose de cette qualité qui rassure le scientifique, une compétence technique indéniable et adaptée à son poste. Polytechnicienne ayant choisi le Génie rural comme école d'application, il était sans doute fort difficile de trouver dans sa famille politique profil plus adapté à l'Ecologie et Développement Durable que celui de celle qui affirmait avoir été depuis toujours passionnée par la matière même de son portefeuille. Au delà de la question, déjà évoquée, de savoir ce que cette vocation, pour la descendante d'une dynastie politique exceptionnellement durable, pouvait avoir de contraint, ou pas, par un rang de sortie qui ne lui offrait pas d'option plus prestigieuse, on peut se demander pourquoi diable, et sans doute plus chez Nathalie Kosciusko-Morizet que chez les autres, il importe tant de masquer la dimension du politique et de ses calculs de carrière, pour ne vouloir à tout prix retenir que la dévotion à cette cause environnementaliste dans laquelle sa compétence technique sert à la fois de preuve, et de caution.

Car cette vocation, pour NKM, semblait, à l'époque du choix de son école d'application, bien moins limpide qu'aujourd'hui, à l'heure de ses confidences à la presse féminine. A la page 51 d'un texte disponible sur le site de l'ENGREF, elle déclarait ainsi ne pas avoir de projet professionnel défini, mais s'intéresser essentiellement à l'économie, choix qu'elle confirmera durant la seconde année de son école d'application, grâce à divers stages à la Lyonnaise des Eaux, auprès de l'Attaché agricole de l'ambassade à Varsovie, et au bureau Agriculture de la direction de la Prévision du Ministère de l'Economie, bureau auquel elle sera ensuite affectée. Sans doute ce poste, où elle sera en charge de l'environnement, et en particulier de la gestion des déchets et de la pollution atmosphérique, lui permettra-t-il à la fois de remplir son carnet d'adresses, et d'évaluer avec pertinence le profit politique à tirer d'un investissement dans le secteur environnemental. Avec l'économie numérique, elle ne fait en somme que revenir vers ses premières amours, et, tous comptes faits, il se pourrait que cette si belle vocation ne soit que le produit de calculs d'opportunités. Sa remplaçante, Chantal Jouanno, conseillère environnementaliste de Nicolas Sarkozy avant de prendre, voilà moins d'un an, la tête de l'ADEME, l'établissement public compétent en tout en matière d'environnement, à partir du moment où c'est concret et mesurable au moyen de protocoles scientifiques valides, dispose elle aussi de quelques atouts à faire valoir lesquels, il est vrai, auront de la peine à effacer son lourd passif d'énarque.

Comme le constatait Sylvie Ollitrault, le militantisme écologiste se confond totalement avec une expertise qui, très vite, a quitté le terrain pour regagner les laboratoires. Dominé par des universitaires appartenant à des disciplines diverses mais toutes attachées à l'étude d'une nature dont ils seront les meilleurs gardiens, le parti écologiste a eu l'exceptionnelle habileté stratégique, face à un appareil d'Etat qu'il a réussi à disqualifier, de faire adopter ses thèses par le grand public. Ainsi, il dispose à la fois de la science et de l'opinion, et de la certitude que l'opinion a désormais qu'il est la science, donc de tous les atouts nécessaires pour imposer comme seules légitimes les causes qu'il promeut, et juger de la vertu des efforts déployés, par les pouvoirs publics, mais aussi par les entreprises, pour satisfaire à ses exigences. Si l'on n'attend généralement pas d'un politique qu'il soit autre chose que cela, que l'on acceptera qu'un ministre de la santé ne soit pas médecin, que l'on attendra du ministre de l'économie qu'il ne soit pas chef d'entreprise, et que l'on évitera de nommer à la défense un ancien militaire, il en va autrement de l'écologie. Etant à la fois science et cause, obligeant à traiter avec des acteurs à la fois militants et scientifiques, le poste de secrétaire à l'écologie impose au politique d'apporter les preuves, aussi bien de son engagement pour la cause, que de ses compétences scientifiques.

C'est ce qu'avait fait Nathalie Kosciusko-Morizet, qui quitte son secrétariat avec une réputation intacte. Et voilà que, quelques jours à peine après son départ, deux gros pavés déchirent au même moment la surface de l'étang vert. A l'Elysée, affirment Les Echos, on envisage, pour départager les candidats à la construction d'un nouvel EPR, une solution dont l'inspiration biblique n'échappera à personne : plutôt que d'en couper un en deux et d'attribuer un bout à chacun des prétendants, EdF et Gdf-Suez, on en construira deux, et chacun pourra rester maître chez soi. Mais, dans l'échelle de l'horreur écologique, la Commission Européenne fait pire. En effet, puisque l'EFSA atteste de l'innocuité pour la santé humaine des semences transgéniques, la Commission contre-attaque sur plusieurs fronts, et s'oppose en particulier à la décision française de suspendre la culture du MON810 de l'abject Monsanto. Une main inconsciente vient, en d'autres termes, d'aiguillonner violemment et en ses deux parties les plus sensibles le taureau écolo, et NKM n'est plus là pour subir une charge qu'elle aurait, sans doute, eu du mal à contenir cette fois-ci d'un simple bisou. Alors, au delà de l'habileté politique, la voilà qui, indéniablement, bénéficie d'une protection divine.