Il est des combats hertziens menés en justice depuis de longues années contre la toute-puissance des émetteurs par des collectifs citoyens dont la grande presse ne s'émeut guère, et dont la télévision ne montre rien. Ainsi en est-il des Sans-Radio de l'Est parisien, en lutte depuis 2002 avec le soutien actif de la municipalité communiste de Bagnolet contre ces géants des ondes que sont TDF et autres towerCast, dont les puissances installées ridiculisent les Bouygues Telecom ou les SFR. L'un des épisodes de cette dispute vient tout juste de s'achever devant la Cour de cassation ; pourtant, il ne s'agit nullement ici d'obtenir, comme avec cette toute récente décision en appel, le démontage d'un de ces relais hertziens camouflés, avec un sens artistique certain et un remarquable à-propos, en arbre de Noël ; au contraire, ces usagers-là réclament, depuis des lustres, plus d'ondes.

Ils ont, en effet, le malheur de vivre à l'ombre des Mercuriales, ces tours jumelles qui représentent à peu près tout ce que la banlieue est de Paris peut fournir en fait de quartier d'affaires, et offrent un point haut d'autant plus pratique pour y installer des émetteurs qu'il reste seul de son espèce, et que les émissions ne risquent donc pas d'être troublées par une quelconque interférence. Le sommet des tours sera investi dès 1984 par NRJ, la plus agressive de ces radios nées de l'ouverture de la bande FM décidée par François Mitterrand, et qui voyait là un moyen d'étendre sa couverture tout en se passant de la tour Eiffel, alors bastion de TDF, le radiodiffuseur d'un monopole public en voie d'effritement. Et, déjà, la puissance excessive de son émetteur lui vaudra des ennuis avec le régulateur de l'époque, cette Haute Autorité de l'audiovisuel qui fera preuve d'une étrange obstination dans sa volonté de privilégier le respect de la règlementation aux amitiés politiques et à la pression de la rue, obstination qui, comme toujours, se concluera en désaveu. Mais vingt ans plus tard, les pertubations demeurent.
C'est du moins ce qu'affirment les Sans-Radio, qui, à Bagnolet et dans les environs, accusent les radiodiffuseurs installés sur les Mercuriales, TDF, et towerCast, filiale de NRJ, de brouiller les émissions de la tour Eiffel, empêchant ainsi la réception de nombre de radios, et de Radio France en particulier. Le combat commença donc en 2002 et, de pétition en courrier au CSA, de constat d'huissier en rencontres avec le ministre, et jusqu'à une tentative semble-t-il infructueuse d'invoquer cette notion de trouble de voisinage qui prospéra ailleurs, la chronologie aussi longue que fournie qu'en présente l'association dit bien à quel point, en certains cas, la voix d'une opposition locale à une puissance émettrice rencontre peu d'écho. Et si l'on prend en considération le fait que la Cour de cassation vient juste de rendre un arrêt qui n'a d'autre but que de confirmer une décision en appel datant de juin 2007 et autorisant les Sans-Radio à simplement demander une expertise, on peut postuler que le combat sera encore long, et que la hargne des auditeurs risque finalement de s'épuiser à force de plaider dans un désert d'ondes.

Certes, leur bon droit n'est sans doute pas aussi simple à démontrer qu'ils le prétendent, et leurs efforts se brisent sur les arguments des radiodiffuseurs qui, affirment les spécialistes, respectent aujourd'hui scrupuleusement leurs obligations. Le fautif, en l'espèce, serait donc le régulateur, qui aurait autorisé sans précautions le recours à des puissances qui se sont révélées excessives ce qui, puisqu'il devient alors juge ou partie, ne simplifie pas les choses. Mais, surtout, la lutte des Sans-Radio a tout du combat d'arrière-garde. La diffusion analogique, où la qualité de la réception dépend en partie de la puissance des émetteurs, et où cette puissance détermine en partie la portée de l'émission, donc la densité du réseau nécessaire pour assurer une couverture satisfaisante, réseau d'autant plus coûteux qu'il sera dense, voit son importance décliner avec le développement de techniques concurrentes, câble, satellite ou adsl, et sera de toute façon à terme remplacée par le numérique. On comprend que les opérateurs n'aient aucune intention d'investir dans une technique en fin de vie, et qu'il leur semble bien moins onéreux d'entretenir une guerilla juridique pour laquelle ils sont bien mieux armés qu'une association de quartier, et qui leur permettra de gagner les quelques années qui les séparent encore de la fin de l'analogique. De plus, réduire la puissance des Mercuriales implique sans doute de mettre en service un certain nombre d'émetteurs supplémentaires destinés à combler les trous de réception qui ne manqueraient pas d'apparaître : nul doute que l'on entendrait alors d'autres voix s'élever contre ces salauds de pauvres qui, au prétexte qu'ils n'ont même pas de quoi se payer une box ou une antenne satellite, ou qu'il sont trop bornés, trop paresseux et trop conformistes pour apprendre à utiliser autre chose qu'un poste de radio pour recevoir des émissions de radio, n'hésitent pas, en exigeant plus d'ondes, et plus d'émetteurs, à mettre en danger le confort moral de leurs concitoyens plus fortunés, ou mieux situés. On voit, finalement, où se situe la véritable malchance des Sans-Radio : il est décidément bien difficile de faire de leur lutte une bonne histoire, et il n'y a vraiment pas là de quoi intéresser un journaliste.