boulevard barbare
Un des intérêts du bilan désormais annuel que la
Préfecture de police rend de l'accidentalité
routière à Paris tient précisément au fait
qu'il ne permet pas seulement de compter les morts. Limité
à la seule capitale, il s'intéresse donc à un
territoire extrêmement restreint, excessivement dense,
administré par une entité unique et qui, depuis
l'élection à la mairie de Bertrand Delanoë, est
devenu le lieu où une nouvelle majorité socialiste et
écologiste a profondément modifié l'organisation
des rues. Autrefois réparti de façon aussi binaire que
primaire entre les voies de circulation, au milieu, et les trottoirs,
de chaque côté, ce paysage ancestral, pour quelques-unes
des grandes artères de la ville devenues lieux
d'expériences diverses, a connu une véritable
métamorphose théorisée dans cette notion d'espace
civilisé dont le nouveau boulevard de Magenta, qui traverse
en diagonale tout le 10ème arrondissement, reste le prototype.
Il s'agissait donc, nous dit la Mairie, de restreindre la place
autrefois dévolue aux véhicules à moteur
privés au profit de tous les autres usagers, passagers des
autobus, cyclistes et piétons en particulier, avec comme
principaux objectifs de réduire la circulation automobile, et
d'améliorer la sécurité des piétons et
des cyclistes. Commencés dès juin 2004, les travaux
de pacification du boulevard de Magenta prendront fin en mars 2006.
Or il se trouve que le bilan de la Préfecture comprend une
très intéressante cartographie de l'accidentalité,
qui recense les artères et les carrefours les plus dangereux.
Dans ce but, et pour obtenir une certaine validité statistique
de données dont les effectifs, malgré tout, restent
faibles, elle cumule les chiffres de trois années
consécutives soit, en l'espèce, 2008, 2007 et 2006. En
d'autres termes, cette publication permet pour la première fois,
grâce au boulevard de Magenta, de dresser un bilan
accidentologique des conséquences de la politique de Denis
Baupin, adjoint au maire chargé des transports pendant le
premier mandat de Bertrand Delanoë, théoricien et principal
instigateur de cette notion d'espace civilisé. Et le moins que
l'on puisse dire, c'est qu'il est sanglant.
La Préfecture établit d'abord un classement des dix
sections et des dix carrefours les plus accidentogènes de la
ville. Dans son bilan 2007, cumulant donc les données jusqu'en
2005, le boulevard de Magenta apparaissait en quatrième position
sur ce premier classement, la section comprise entre la rue du
Château d'Eau et la rue de Lancry recensant 25 accidents et 33
blessés. En 2008, avec 30 accidents et 37 blessés, cette
section figure désormais en deuxième place alors que,
avec 23 accidents et 26 blessés, une autre portion du même
boulevard fait son entrée à la septième place. En
2007, le carrefour avec le boulevard de Strasbourg où l'on
déplorait au total 24 accidents et 28 blessés
était sixième ; avec un accident de moins, en 2008, il
gagne malgré tout une place. La seule amélioration
concerne un autre croisement, celui avec la rue du Faubourg Saint
Martin, naguère septième, et qui disparaît du
classement. Mais il y a pire.
En 2005, en 2006, comme en 2007, le 10ème arrondissement n'a
connu qu'un
seul accident mortel, sans aucun lien avec l'espace
civilisé, respectivement rue du Faubourg Saint Denis, quai de
Jemmapes, et quai de Valmy.
En 2008, on en a compté cinq, dont trois étaient en
relation directe avec le boulevard, deux ayant eu lieu sur la voie
elle-même, le troisième à son
débouché place de la République, alors que les
deux autres
se produisaient à proximité, rue Lafayette et place Franz
Litsz. Bien sûr, sur le plan de la stricte rigueur statistique,
les effectifs restent trop maigres pour tirer des conclusions
définitives. Mais il n'est sans doute pas indispensable
d'attendre que les blessés se chiffrent par centaines, et les
morts par dizaines, pour prendre acte du désastre. Et il est, en
tout cas, certain que cet aménagement n'a apporté aucune
amélioration dans le domaine de la sécurité,
sécurité qu'il a très probablement
dégradée en produisant ainsi un résultat
exactement opposé à son objectif annoncé.
Difficile, de plus, de porter cette hausse de l'accidentalité au
compte de la circulation automobile : d'après Charlotte
Nenner, alors élue Verte de l'arrondissement en charge des
transports, celle-ci, depuis le changement de statut du boulevard, a
diminué de moitié, ce qui lui suffit pour
considérer cet aménagement comme exemplaire.
Si exemple il y a, c'est bien de ce mode de pensée et d'action propre aux Verts, et que l'on pourrait qualifier de technocratie de deuxième génération. Et il n'y a là qu'apparent paradoxe. Il s'agit bien, comme à l'époque où la technocratie gaullienne décidait seule, au nom du monopole de la connaissance technique qu'elle s'était attribué, du tracé des voies ferrées à grande vitesse et des autoroutes urbaines, de développer en laboratoire, toujours en revendiquant le monopole d'une connaissance qui est, ici, plus d'ordre scientifique, et produite par des chercheurs, un modèle que l'on va, de force, inscrire dans le paysage. Mais alors que les planificateurs oeuvraient dans ce qu'ils considéraient être l'intérêt général, les Verts apportent une dimension normative, fondamentalement neuve, où il ne suffit plus d'être, simplement, comme dans toute démocratie banale, un citoyen respectueux des lois : il faut impérativement faire partie du clan des vertueux, en l'occurrence les piétons et les cyclistes regroupés sous l'appellation, et l'excuse, d'usagers vulnérables. C'est en leur nom, à leur intention et, parfois, en dépit de leurs protestations, que l'on aménage, que l'on aménage contre leurs concitoyens qui se déplacent autrement, et même, au besoin, contre eux-même, puisqu'il suffira, pour ceux qui tarderaient à saisir les bienfaits de la science verte, d'un peu d'éducation, et de quelques admonestations, afin de remettre les récalcitrants dans le tortueux chemin de la piste cyclable de nouvelle génération. Du moins, à la différence des hauts fonctionnaires des Mines et des Ponts, les Verts sont-ils élus ; comme tels, ils peuvent toujours être battus.
Commentaires
Très heureux de lire cet article, vu que je me demandais précisément HIER quel pouvait être le bilan de cette horreur qu'est le boulevard Magenta.
Je me le demandais parce que, motard et habitué à circuler correctement dans Paris (tout est relatif), j'ai descendu le boulevard dans son intégralité, depuis Chateau Rouge jusqu'à République. Moi habituellement placide, voir franchement cool, je me retrouvais à hurler dans mon casque, à devenir agressif, à faire vrombir le moteur aux intersections, puis finalement à achever la descente du boulevard dans le couloir bus entre le bd de Strasbourg et la place de la république, puisqu'il n'y a que là qu'on peut rouler. On est d'ailleurs remarquablement tranquille dans ce couloir, qui devrait être rebaptisé "couloir de taxis", puisque les bus en sont absents : ils sont tous bloqués dans le haut du boulevard.
Ma principale hantise dans ce boulevard est de me faire arrêter par la police pour avoir soit remonté les files opposées à contresens, soit emprunté indument le couloir bus. Heureusement la police est bien visible : les policiers parisiens étant toujours en voiture, et le boulevard ne permettant aucun stationnement, les 308 blanches toutes neuves sont joliment plantées... au milieu du couloir bus. Ce qui laisse à penser que, tandis que les élus totalitaires verts cherchent à empêcher les gens de circuler à grande échelle (i.e. d'un bout à l'autre de la ville), tandis que la population essaie de s'émanciper des carcans vers en circulant en deux-roues, la police s'évertue à les maintenir dans la circulation bloquée. Et le tout avec nos impôts, ce qui agace beaucoup. Le même constat peut être établi boulevard st Marcel dans le 5eme, avec ceci d'encore plus délirant que l'organisation de la chaussée, avec les deux voies de bus sur un coté de la chaussée, et les deux voies pour les autos de l'autre sont de véritables dangers même pour les piétons, pas habitués, et pour n'importe qui de pas habitué.
Dernier point : la chaussée du boulevard magenta est devenue un espace d'agressivité maximum dans Paris, et le trottoir n'est même pas épargné : vu qu'il est impossible de circuler sur la chaussée, les vélos empruntent les pistes cyclables à fond la caisse, et même souvent les scooters. Un ami me racontait avoir un jour de forts embouteillages été transporté par une moto-taxi de la gare du Nord jusqu'à Orly, à 80km/h sur les pistes cyclables, slalomant entre les vélos, les piétons et les poussettes, en Gold Wing !!
Au moins, s'ils ne respectaient pas les monuments historiques, les technocrates gaullistes avaient-ils une conscience des FLUX de circulation, des besoins de déplacement qu'engendre une économie active. Les verts, eux, ne songent qu'à tout immobiliser, et comme personne d'autre n'a l'intention de les suivre, on aboutit à ce vaste bordel dangereux, inefficace et coûteux.
J'ai emprunté le nouveau boulevard de Magenta une seule fois, de nuit. L'étroitesse de la piste concédée aux véhicules motorisés, les virements de bord incessants qui leurs sont imposés, le parcourir du combattant que cela représente permettent de comprendre la véritable fonction de cet aménagement, qui est étroitement punitive. On ne s'est pas contenté de diminuer la largeur des voies, restant ainsi dans le domaine du rationnel, on s'est aussi ingénié à rendre leur parcours aussi difficile que possible.
Cette appellation "d'espace civilisé" qui déprécie ceux qui n'ont pas leur place en ce royaume n'est pas seulement l'expression incroyablement naïve d'un système de valeurs qui n'a rien à voir ni avec la raison, ni avec la démocratie : c'est aussi une faute politique des plus grossières. Si les Verts on perdu la moitié de leur électorat lors des dernières municipales parisiennes, ils le doivent largement à Denis Baupin et Charlotte Nenner.