pauvre carbone
Cela pourrait surprendre, mais cette contribution climat énergie que les journalistes ont tellement de mal à ne pas abréger en CEE qu'ils préfèrent parler de taxe carbone relève de principes absolument sains, à condition, bien sûr, de la dépouiller de cette justification écologiste aussi superflue que dotée d'un fort potentiel d'effets pervers. Et laissons, pour la netteté de la démonstration, le cas du charbon de côté, puisque, malgré les augures, le moment précis où il faudra de nouveau l'utiliser pour faire tourner les moteurs à combustion interne ne se devine toujours pas dans les prospectives de l'après-pétrole. Or, ce qu'il est intéressant d'analyser aussi bien dans le principe de cette taxe que dans la manière dont le gouvernement la met en œuvre, c'est son impact sur la consommation individuelle d'hydrocarbures c'est à dire, pour faire simple, sur le prix du carburant chez son pompiste habituel. L'alerte née du baril de WTI à 145 dollars en juillet 2008, la certitude que, si les gisements sont loin d'être épuisés, leur exploitation sera de plus en plus coûteuse, l'évidence, en somme, que tout doit être fait pour économiser cette ressource encore indispensable et de moins en moins abondante milite pour la seule incitation efficace à la modération, le pétrole cher.
La baisse actuelle des cours n'étant que le reflet d'une activité déprimée, et le WTI ayant, depuis février dernier, vigoureusement rebondi, on pourra toujours prétendre que, pour garantir un carburant cher, le marché se débrouille très bien tout seul. On manquera alors l'un des points intéressants de la taxe, ce caractère incitatif qui naît de son accroissement progressif, régulier, et indépendant des fluctuations du marché. Assise sur la tonne de gaz carbonique émise, une grandeur physique stable, la taxe échappera ainsi aux éternelles disputes qui affectent les prélèvements au pourcentage. En somme, on
avait là un outil doté d'une certaine efficacité, pour peu que cet accroissement soit à la fois déterminé grâce à un calendrier
précis et établi à long terme, et accompagné d'une croyance partagée en la capacité du pouvoir politique à le faire respecter. Autant dire que, dans un cas comme dans l'autre, c'est raté, et que, en fait de calendrier, ce prix de 100 euros évoqué pour 2030 constitue un engagement d'une crédibilité équivalente à celui de diviser par quatre les émissions de dioxyde de carbone, et dont ceux d'entre nous qui seront alors toujours en vie pourront constater, dans un peu plus de quarante ans, s'il a effectivement été tenu.
Au moins a-t-on conservé un autre principe fondamental, celui d'une redistribution, et d'une redistribution indépendante des revenus du ménage, simplement adaptée à la taille de celui-ci, et qui n'avantage pas de manière inconsidérée les foyers ruraux. Grâce à cette compensation, on évite le piège qui aurait réduit le prélèvement à la seule mise en place d'une taxe additionnelle à la TIPP, et quand bien même les conversations de café du commerce et les micros-trottoir au pied de la pompe n'évoqueront rien d'autre, pour définir une norme, et une norme d'un genre bien éloigné de celui qui intéresse les sociologues puisqu'elle ne s'accompagne d'aucune sanction, même symbolique, et conduit simplement à faire un arbitrage. Alors, en effet, cette norme privilégie un certain mode de vie, urbain, et dense, au détriment de ceux qui habitent dans les écarts. Bien sûr, comme autrefois le retraité de l'île de Ré taxé à l'ISF par la faute de ses voisins, ces parisiens en villégiature qui ont fait exploser le coût du foncier insulaire, les histoires édifiantes des perdants malheureux ne manqueront pas de remplir les colonnes ou de nourrir les JT. On peut même parier, tant ces victimes seront d'autant plus pitoyables qu'elles appartiendront à des catégories sociales valeureuses, sur les portraits que l'on nous servira, infirmière libérale exerçant son apostolat dans la campagne reculée, contrainte à faire ses tournées en voiture et ne pouvant même pas répercuter dans ses tarifs le montant de la taxe, petit artisan routier déjà pris à la gorge par la concurrence de ces multinationales étrangères qui, elles, ne payent une taxe dont on aimerait bien savoir si elle sera compensée que pour venir lui voler ses clients sur le territoire national, ou cette malheureuse retraitée déjà passée à l'antenne, occupant seule une vaste demeure familiale qu'elle n'a plus les moyens de chauffer. A l'opposé, on entendra sans doute fort peu parler de ces familles nombreuses de bourgeois du cinquième qui,
ignorant jusqu'à la notion même de permis de conduire, bénéficieront pleinement d'une vertu qui leur aura coûté bien peu d'efforts, et leur causera de bien légers scrupules.
Pourtant, tout cela n'est que justice. Faire le choix d'habiter dans une zone de faible densité, donc nécessairement à la fois mal pourvue en transports collectifs, et éloignée des centres urbains où se concentre le travail, découle d'un arbitrage dans lequel, pour une dépense équivalente, l'on préfère son petit chez-soi pavillonnaire à un habitat collectif, en sachant que la merveilleuse égalité républicaine vous fournira, pour aller vite, le droit de profiter au même prix des mêmes services que les citadins, et quand bien même leurs coûts de fonctionnement seraient, à cause de cette faible densité de population qui améliore tellement la qualité de vie mais interdit les économies d'échelle, significativement plus élevés. Aussi, taxer la surconsommation de produits pétroliers qui découle d'un mode de vie choisi vient, pour la première fois, rompre cette fiction égalitaire qui s'exerce le plus souvent au détriment des plus défavorisés, ceux qui, à la fois, subissent les inconvénients de la ville, et compensent, en particulier au travers de la fiscalité, le coût de services dont d'autres qu'eux profitent. La taxe carbone, par sa dimension strictement individuelle, met à contribution, si peu que ce soit, ceux qui bénéficient d'avantages acquis au détriment des autres à proportion de ces avantages. Personne n'en parle, et pourtant c'est bien en cela que la mesure est révolutionnaire.
Commentaires
Clap, clap, clap.
C'est beau, c'est direct, c'est clair. Comme d'habitude, quoi.
Qu'elles aillent se faire foutre les familles nombreuses de bourgeois du cinquième ignorant jusqu'à la notion même de permis de conduire ! T'en connais toi ? Moi j'en connais pas !
je me demandais en lisant le texte si Aymeric allait réagir : c'est fait ! Pourtant il a déménagé!
Rien à voir, mais contribution climat énergie, cela ne ferait pas plutôt CCE?
Calme-toi, Jean-Luc.
Nicolas, c'est trop gentil. En plus, il s'agit une fois de plus d'un billet écrit un peu vite, et la conclusion est sans doute un peu rapide. Mais quand même, cette implication directe et uniforme de l'individu au travers des conséquences dommageables de ses choix quotidiens, une sorte d'application du principe premier du code civil qui oblige à réparer les dégâts que l'on cause mais sans que la victime ait besoin d'être identifiée, cela me paraît assez nouveau.
Et ce n'est pas moi qui abrège contribution climat-énergie en CEE mais, par la force de l'habitude, La Tribune du 28 juillet dernier qui titre : "L'impact de la CEE sur les principaux secteurs français" l'un des diagrammes d'un fort intéressant dossier sur la taxe carbone. On y trouve notamment un second graphique qui, mêlant plusieurs sources, décrit l'évolution des émissions de CO2 en France depuis 1960. Où l'on voit qu'à une forte croissance des émissions qui ont atteint un niveau record en 1973 a succédé, à partir de 1979, une baisse moins longue mais tout aussi pentue qui a permis de trouver en 1985 un niveau stable depuis lors, même si la tendance récente est à une légère baisse. Et l'évolution depuis 1980 retrace fidèlement le développement du parc électro-nucléaire. Merci qui ?
Clap clap aussi.
Les gémissements des campagnards sont représentatifs du discours sur l'«aménagement du territoire» qui consiste entre autres à faire faire la queue aux citadins et à mettre des guichetiers dans des bureaux déserts à la campagne pour cause d'horaires risibles, ou encore subventionner des commerces dans lesquels personne ne va, puisque tout le monde fait ses courses près de son travail et où c'est bien achalandé, à savoir à l'hypermarché.
Cela dit, je ne vois pas ce qui est révolutionnaire dans ce trempage de la TIPP dans la peinture verte. Elle fait se rejoindre le besoin de récupérer de l'argent pour un état toujours inpécunieux, et le désir de réduire la consommation de matières premières qui ont l'immense désavantage d'être, comme on dit, situées dans des zones instables. Les deux sont apparus au même moment, dans les années 70, voilà bientôt 40 ans.
"Faire le choix d'habiter dans une zone de faible densité,(...)"
Mais, de qui parles-tu? des paysans qui y vivent depuis toujours, de quelques citadins qui se mettent aux vert le plus souvent au moment de la retraite? Il me semblait pourtant que le flux migratoire allait dans le sens campagne -ville, et non l'inverse, et ce depuis quelques centaines d'années...
" donc nécessairement à la fois mal pourvue en transports collectifs, et éloignée des centres urbains où se concentre le travail"
Nul n'est besoin d'aller au fin fond de la Creuse. Essaie la banlieue parisienne, que tu connais bien, en transport en commun. Mes déplacements, dont tu connais la nature, me font faire 15000 km/an en Ile de France. Pas en RER. C'est juste impossible.
"découle d'un arbitrage dans lequel, pour une dépense équivalente, l'on préfère son petit chez-soi pavillonnaire à un habitat collectif, (...)"
Ce qui renvoie à ma première question. Si tu raisonnes pour quelques milliers de "privilègiés" alors, là,d'accord. Mais pour les autres?
On en parlera, la prochaine fois que l'on se croisera au café du commerce!
"et quand bien même leurs coûts de fonctionnement seraient, à cause de cette faible densité de population qui améliore tellement la qualité de vie mais interdit les économies d'échelle, significativement plus élevés. "
Oui les économies d'échelles existent, mais aussi les surcouts de la densité des grandes villes. Ici dans ma campagne tout le monde sait que nos impots servent à subventionner les transports publics parisiens.
Par ailleurs un billet trés clair.
Mais il existe un monde entre la ville et la campagne. Dans notre beau pays, l'exode rural ne s'est manifesté de façon significative qu'a partir du début du XXème siècle. Et aujourd'hui, le mouvement démographique se produit en sens contraire, avec par exemple la baisse de la population de la ville de Paris.
Certes, il n'est pas faux de prétendre que l'exode des catégories les moins fortunées est une conséquence de la hausse du coût des logements ; mais je maintiens qu'il leur est possible de faire un arbitrage entre le logement collectif, en banlieue, mais proche des lieux de travail, et cet habitat pavillonnaire qui s'étend sans cesse et de plus en plus à l'écart, donc de choisir de se placer sous la dépendance exclusive des moyens de transport individuels. Non pas qu'il soit nécessaire d'aller loin pour être loin de tout : habitant à 500 mètres du périphérique, je me retrouve dans une zone dépourvue de transport collectif, comme le montre cette toujours actuelle carte de l'APUR :
http://www.apur.org/images/notes4pa...
Il n'empêche : pour une fois, voilà une mesure fiscale qui me permettrait d'être créditeur net puisque, selon le calculateur de la CLCV : http://www.taxe-carbone.clcv.org/ je serai positif avec ma CBF 1000 jusqu'à 16 000 km par an ; j'en suis loin, et j'imagine mal que l'on se déplace plus avec un véhicule individuel pour des motifs autres que professionnels et çà, a priori, c'est déductible, non ?
Il ne va de même avec les impôts : moi aussi, je paye pour des transports que je n'utilise pas, et pour des écoles dont je n'ai pas l'usage, et pour un tas d'autres choses encore. En fait, comme toujours, la question se limite au fait de savoir si l'on fait partie du camp des créditeurs, ou de débiteurs nets : pour ce qui me concerne, pour l'instant, ça va.
D'ailleurs, l'INSEE commence enfin à exploiter les résultats de sa dernière enquête ménages transports et déplacements :
http://www.insee.fr/fr/themes/docum...
Où l'on vérifie bien cette tendance, qui joue certes à la marge, à abandonner les centres-villes et à être en conséquence plus dépendant de la voiture.
Sauf que précisément, le gouvernement a opté pour une compensation différente selon que l'on habite en zone urbaine ou en zone rurale:
http://www.lexpansion.com/economie/...
En plus, les chouchous habituels ne sont pas oubliés:
http://www.lepoint.fr/actualites-ec...