Dans ce monde où la corruption des secteurs physiques menace chaque jour un peu plus l'intégrité de nos données, la fiabilité des disques durs reste l'ultime rempart qui nous protège du désastre. Et pour l'avoir maintes fois éprouvé à ses dépens, on sait à quel point ce rempart, bien loin de la fière muraille du château-fort qui prête sa silhouette rassurante à tant de services et d'applications de sécurité informatique lesquels, de la sorte, font moins la preuve de leur efficacité que de leur consternante absence d'originalité, ressemble plutôt à une cloison de papier.
Prenons un exemple concret : un dimanche soir, une machine ordinaire et plus toute jeune sortie, d'une pression sur le bouton, d'un court sommeil géré par Vista. Bizarrement, au lieu, comme de coutume, de s'éveiller d'un bloc, elle choisit de redémarrer. Et c'est le drame, le BIOS qui patine, l'amorçage qui échoue, et le constat lapidaire : le premier disque dur du système a pris, sans préavis, une retraite anticipée. Installé le 30 novembre dernier en remplacement d'un prédécesseur lui aussi défaillant mais hors garantie, l'animal aura donc considéré que, question durée de vie, 58 jours, c'était largement suffisant.
Bien sûr, on sait que, dans ce monde fatalement incertain, ce sont des choses qui arrivent. Et que, compte tenu de la jeunesse de l'objet, on a vraisemblablement été victime de cet aléa rare mais irrépressible, un composant électronique défectueux, qui lâche à la première occasion. On sait aussi que les disques durs, comme toute chose en ce bas monde, sont périssables. Mais alors, au moins, qu'ils meurent dans la dignité. Que le poids des ans ralentisse leurs mécanismes, qu'ils laissent échapper, ici et là, comme autant de soupirs, des erreurs et des secteurs défectueux, qu'ils prennent soin de prévenir SMART de leur fin prochaine et, en bons serviteurs soucieux de l'intérêt d'un maître qui, attentif à leur message, aura pris soin de sauvegarder ses données, ils pourront ainsi, au fond d'une armoire, rejoindre en paix ce cimetière des composants périmés et des périphériques hors d'usage dont il est si difficile de se débarrasser.

Mais rien de tel ici. Ici, la mort subite vient, pour la troisième fois en à peine plus d'un an, faucher brutalement un disque à peine sorti de son emballage, et pas n'importe quel disque. Car il s'agit d'un WD Caviar Black, soit précisément d'un composant qui, garanti cinq ans, appartient à une gamme un peu plus onéreuse, et censée être encore plus fiable, que l'ordinaire. C'est précisément pour échapper aux incessants déboires de la production courante qu'on l'avait choisi, les quelques euros supplémentaires à acquitter pour un objet dont le prix, de toute façon, reste ridiculement modique, ne pesant guère face à la tranquillité d'esprit que l'on croyait recouvrer ainsi et qui, brutalement, se révèle n'être qu'illusion. Ce qui, nécessairement, suscite quelques réflexions.

Dans un article maintenant ancien, on s'était intéressé au disque dur sous un angle assez peu usité, puisqu'il servait d'indicateur économique. Au même titre que le Big Mac, il présente à cette fin bien des avantages puisque, soumis à une norme qui, physiquement, n'a pas varié, le disque dur interne 3,5" incorpore, aujourd'hui comme voilà vingt ans, une quantité de ferraille, de composants, et de main d'oeuvre, en gros, stable. Bien sûr, ses performances ont fortement progressé, et, comme le dit si bien l'INSEE, désormais, pour le même coût, on en a bien plus. Mais on oublie toujours de préciser que son prix d'achat, après une période de stabilité qui s'est achevée en 2001 s'est, comme la nouvelle économie, effondré. Aujourd'hui, chez le même célèbre détaillant parisien, l'entrée de gamme stocke 160 Go, et coûte 32 euros. Comment survivre sur un marché pareil ? Certains n'y arrivent pas, à l'image de Maxtor racheté, après Quantum, par Seagate, illustrant ainsi une des conséquences classiques de la guerre des prix : l'élaboration d'un monopole. Ceux qui restent cherchent, en permanence, et à tout prix, à réduire leurs coûts : alors, peut-être, désormais, cette réduction se fait-elle aux dépens d'un ultime paramètre, la fiabilité.
Il suffit de remarquer l'accueil que reçoivent, à Bruxelles, les organisations de consommateurs, bénéficiaires d'office d'une représentativité que nombres d'acteurs, les syndicats en premier lieu, leur envient, ou de constater, au même endroit, la puissance de la Direction générale de la concurrence pour comprendre à quel point toute la régulation économique s'organise désormais autour d'une concurrence qui ne retient qu'un critère, le prix, et fait en sorte qu'il soit aussi bas que possible. Paradoxalement, en agissant ainsi, on ne fait pas seulement du consommateur le seul acteur dont les intérêts doivent être pris en compte. En contraignant les entreprises à réduire sans cesse leurs marges, on arrive à une situation contre-productive où, d'une part, même ceux qui acceptent de payer le prix d'une qualité supérieure ne trouvent plus d'objet adapté et où, d'autre part, la baisse des prix se paye d'une augmentation de l'insécurité. Puisque la concurrence ne joue pas sur ce facteur, pourquoi ne pas prendre le risque, et reporter en aval, sur l'après-vente, une partie des coûts que l'on économise à la production ? C'est qu'un tel calcul peut fort bien s'avérer payant : quand un objet d'une très haute complexité technologique coûte deux fois le prix d'un plein d'essence, qui va s'ennuyer à le faire réparer ?