Dans ce monde où la corruption étend chaque jour un empire qui s'enracine bien au-delà des seules valeurs morales, il serait bon que les forces du bien détournent une attention uniquement préoccupée des turpitudes certes infinies, dans leur nombre comme par leur variété, de ces multiples acteurs qui fondent l'exécrable réputation du secteur financier, pour l'orienter un instant vers le monde autrement plus terre à terre du commerce des matières premières.
Un fait, au moins, devrait les y inciter : la sentence rendue en début de semaine par la cour de justice de Shanghai contre quatre employés de Rio Tinto, conglomérat minier australo-britannique, au même titre que son concurrent bhpbilliton et, accessoirement, via sa filiale Rio Tinto Alcan, propriétaire des actifs du français Péchiney ensuite rachetés par le canadien Alcan avant qu'il ne soit lui-même absorbé par Rio Tinto. Ce procès pour corruption et espionnage industriel visait quatre futurs anciens responsables du géant des minéraux. En prison depuis près d'un an, les trois Chinois et l'Australien vont désormais purger des peines comprises entre sept et quatorze ans, sans prendre en compte la condamnation symbolique infligée par leur employeur qui les raye de ses cadres, dénonce leurs agissements et, au terme d'une enquête menée par ses propres soins, se lave de tout soupçon. Les corrupteurs, pour l'heure, ne semblent guère inquiétés : Reuters évoque pourtant une piste, celle des "pratiques des sidérurgistes chinois" alors que, dans Le Parisien, la dépêche de l'AFP donne des noms. Pourtant, un élément reste dans l'ombre : en général, en matière commerciale, c'est le vendeur qui corrompt l'acheteur, histoire d'emporter le marché. Ici, les valises de billets circulent en sens inverse, et, de façon bien singulière en ces temps de libre concurrence, les sidérurgistes ont recours à la corruption comme moyen de sécuriser leur approvisionnement en minerai de fer.

C'est que le minerai de fer hélas, plutôt abondant, assez bien réparti sur la croûte terrestre, et donc aux mains d'entreprises qui, par leur nationalité, disposent, au Brésil, en Australie, d'un accès privilégié à une portion significative de la croûte en question, se retrouve, par le jeu supplémentaire de la concentration capitaliste, sous la coupe d'une triade qui, en plus des deux australo-britanniques déjà cités, comprend le brésilien Vale do Rio Doce, le numéro un du secteur. Bien sûr, l'acier ne se nourrit pas seulement de minerai, les aciéries électriques recyclant des ferrailles comptant pour la moitié de la production mondiale. Certains sidérurgistes adeptes de la bonne vieille concentration verticale, ArcelorMittal en première place, assurent par ailleurs grâce à leurs propres mines une part significative de leurs approvisionnements. Mais pour les autres, les japonais et les chinois en particulier, il faut bien s'en remettre aux conditions du cartel anglo-lusophone. Traditionnellement, le brésilien tire le premier et fait le marché : en 2005, il annonça ainsi une hausse de ses tarifs de 75,1 %. Ensuite, tous les autres ont suivi, dans tous les secteurs, provoquant cette envolée du coût des matières premières, cause d'une lente asphyxie de l'industrie qui contribua lourdement à la crise de la mi-2008 et entraîna, par réaction, en un seul trimestre, une baisse des cours d'une ampleur sans précédent.
Mais depuis le point bas de l'hiver 2009, les affaires reprennent. Pressé de rattraper le temps un instant perdu, Vale propose à ses clients japonais, d'après Les Echos, un prix en hausse de 90 %. Mais bhpbilliton fait mieux, ou pire, en réussissant à imposer un abandon des contrats annuels au profit d'une révision trimestrielle des tarifs qui se traduira par une double hausse, des prix comme de la volatilité, et annonce donc un univers encore moins stable que celui dont l'instabilité contribua puissamment au déclenchement d'une crise que les producteurs de matières premières ont déjà effacée de leur bien courte mémoire.

Si, à l'exception des hydrocarbures et de quelques métaux injustement méprisés, comme le très ordinaire zinc, l'extinction des ressources ne menace pas encore, leur concentration, physique et capitalistique, pose problème, et donne à une très petit nombre d'acteurs un pouvoir qui vaut largement, même si personne n'en parle, celui du cartel pétrolier. Ainsi en est-il des minéraux connus sous l'appellation de terres rares, aujourd'hui encore monopole d'une Chine de plus en plus réticente à satisfaire la demande internationale, ou de ce précieux lithium, composant indispensable du plus efficace des couples électrochimiques et dont les ressources se trouvent presque totalement concentrées en un seul point du globe qui a l'infini malheur de se situer en Bolivie. La dissociation radicale entre producteurs et consommateurs, la capacité des premiers à fixer des prix qui n'ont d'autre limite que la ruine de leurs clients, l'absence de toute autre régulation que celle d'un marché qui, en l'espèce, ne peut fonctionner, remplissent de mitraille une machine infernale dont on peut parier sur l'explosion prochaine. Voilà, en tout cas, qui facilite singulièrement le travail des augures de la prochaine crise. Sur son versant finances, on devrait être tranquille pendant assez longtemps. Non pas, d'ailleurs, que les financiers aient juré de se montrer plus sages. De même, les autorités n'ont certainement pas découvert le secret de la régulation efficace et infaillible. Mais les clients des banquiers, ceux dont les avoirs se chiffrent en centaines de millions de dollars, ont suffisamment perdu dans l'affaire pour ne pas se laisser persuader de si tôt d'investir des sommes considérables dans ce tout nouveau type de placement certifié sans risque et qui rapportera gros. Et sur le versant matières premières, la prévision est encore plus simple puisque c'est déjà commencé.