Il faudrait une connaissance intime du milieu et de ses enjeux pour expliquer la multiplication de ces petites structures, parfois individuelles, mais presque toujours composées de deux associés, qui font aujourd'hui l'architecture de ce pays. Une rencontre pendant les études, des difficultés à s'établir, la place toujours occupée par les anciens à la tête de leurs grandes agences internationales, la diversité d'une commande publique qui forme l'essentiel de l'activité, voilà sans doute quelques-unes des explications possibles. Cet éparpillement n'empêche d'ailleurs pas les regroupements, par affinité, par âge. Mais il sera surtout au principe d'une concurrence sévère, dans laquelle chacun cherchera à faire fructifier un style personnel. Beaucoup comme, par exemple, Bernard Bühler, miseront sur la variété des couleurs et des matériaux. Plus rares seront ceux qui s'imposeront un vocabulaire plus austère, orthogonal, monochromatique, et souvent noir, tels Franck Salama, qui construit un ensemble de maisons de ville le long de la rue Villiot, ou LAN Architecture.

Auteurs d'une petite résidence étudiante qui sera bientôt livrée rue Pajol, responsables d'un impressionnant projet à Beyrouth, un ensemble de bureaux et d'appartements dominé par une tour strictement carrée, mais dotée d'un revêtement infiniment variable, les deux associés ont aussi participé au dernier grand chantier de la ville, Clichy-Batignolles. Pour la parcelle 1.B, le long du parc, au nord de la rue Cardinet, ils ont conçu un monolithe triangulaire à ressauts qui rappelle le paquebot de Pierre Patout, qu'ils ont prévu aussi haut que possible, et qu'ils ont bâti sur un socle blanc, et recouvert de verre noir. Ce verre, en fait, est celui de ces panneaux photovoltaïques sans lesquels aujourd'hui, à Paris, construire n'est plus concevable, mais qui, détournés de leur fonction, trouvent ici un double emploi esthétique puisque, en plus de leur couleur, leur découpe anime la façade, et dévoile selon les endroits les enduits colorés qui recouvrent le bâtiment. De jour, le monolithe de verre reflète les éléments proches, casse sa rigidité par la combinaison savante des ouvertures et des couleurs, et dote la parcelle d'un monument, geste de provocation, manifeste esthétique, autant que point de repère. De nuit, avec le jeu des lumières, on atteint un niveau de beauté inégalé depuis des années.
Mais le concours est perdu. À la place, Périphérique construira un immeuble bien plus ordinaire, un peu moins haut. Et blanc.