L'été, saison idéale pour se livrer à une petite analyse de la perception du risque, tel qu'elle ressort non pas de ces ennuyeux bavardages produits par des faux prophètes et de vrais imposteurs, mais d'une classique observation. La population étudiée se limitera, ce qui n'étonnera personne, aux utilisateurs de deux-roues motorisés. Quant au lieu, il se montrera aussi approprié par sa localisation que par sa variété puisque, entre Grasse et Antibes en passant par Vallauris-Plage, il comprendra aussi bien des zones urbaines où la vitesse est parfois limitée à 30 km/h, que des routes secondaires où l'on doit généralement respecter les 70 km/h, et une voie rapide qui permet d'atteindre les 110 km/h. En ces derniers jours d'août, en ce début septembre, la température restera suffisamment élevée pour autoriser ces audaces vestimentaires qui fourniront un parfait sujet d'étude.

À peine besoin, d'ailleurs, d'un oeil exercé, tant la population que l'on croise sur ces routes, en cette période, se range, de manière rigoureusement dichotomique, en deux catégories : les motards, le plus souvent au guidon de ces roadsters d'une cylindrée moyenne ou forte qui représentent traditionnellement les plus forts volumes de vente, et les scooteristes, adolescents avec leurs cyclomoteurs, adultes titulaires du permis B au guidon d'un 125. Le critère qui permettra cette partition sera simplement vestimentaire, mais parfaitement pertinent tant, à la rare exception de l'occasionnel propriétaire d'une moto utilitaire, style Transalp, rigoureusement tous les motards roulent avec gants et blouson, textile, mais aussi, de façon à peine moins fréquente, cuir. Dans l'autre camp, le code vestimentaire s'exprime d'une manière aussi stricte : mains nues, T-shirt, bermuda. À l'évidence, le port quasi systématique du casque ne découle que de son caractère obligatoire : dans le cas contraire, on se passerait volontiers de cet accessoire si décoiffant.
Bien sûr, la rengaine, et la rancœur, du vrai motard contre ces envahisseurs au guidon de leurs baignoires en plastoc, qui stigmatisera leurs comportements suicidaires, et portera à leur compte la permanence d'une accidentalité significative, n'est pas neuve puisqu'elle date au moins du grand retour du scooter comme outil de déplacement urbain, dans les années 1980, moment où il retrouve, auprès de la même population de conducteurs d'occasion, la faveur qui avait fait le succès de la Vespa d'après-guerre. Difficile, à ce jugement de sens commun, d'opposer des arguments rationnellement fondés.
Les statistiques nationales, en effet, classent tous les motocycles dans un même sac, ne comptant à part que les cyclomoteurs, et rendent donc impossible un décompte séparé de ces deux populations que pourtant, à l'évidence, tout oppose. Les compagnies d'assurance, qui disposent de leurs propres données dont elles ne diffusent, au mieux, que de sommaires agrégats, affirment que ces deux catégories de conducteurs connaissent une accidentalité comparable. Mais, justement, cette proximité pose problème. Car les conséquences d'un accident varient considérablement en fonction des situations : si les accidents urbains sont nombreux, ils sont en moyenne bien moins graves que ceux qui se produisent sur route ouverte, et à plus grande vitesse. En d'autres termes, le risque sensiblement moins élevé qu'affrontent, à l'opposé des motards, les scooteristes, devrait nécessairement se lire dans les statistiques : si tel n'est pas le cas, on a bien affaire à un sur-risque. L'ANCMA, la chambre syndicale italienne du cycle et du motocycle, diffuse à ce sujet une série intéressante qui, débutant en 1991, compare l'évolution de l'accidentalité à celle du parc des motocycles. Or, on se rend compte que, avec un parc stable et principalement composé de motos, cet indicateur ne cessait de baisser, atteignant un point bas en 1999. Depuis, avec l'envolée des scooters, le parc, en dix ans, a doublé, et l'accidentalité relative s'est légèrement, mais de façon régulière et significative, dégradée.

Au-delà de l'affirmation d'une distinction qui passe aussi par la manière de s'habiller, cette volonté manifeste et systématique, de la part des seuls motards, de prendre, face au risque, toutes les précautions possibles, si peu efficaces soient-elles, relève bien d'un fait culturel, d'un apprentissage qui, certes, est passé par une formation à un permis particulier, mais découle aussi des normes d'un groupe dont le scooteriste ordinaire, au guidon d'un succédané d'automobile, ignore tout.
L'expérience, sans doute, à ses dépends, l'instruira. Mais à voir cette gamine si peu couverte de son petit top tellement sexy, dévalant le chemin de Saint-Claude en tenant son guidon de la seule main droite, puisqu'elle dispose de la dextérité nécessaire pour composer, de la gauche, un numéro sur son mobile, on se dit que la leçon ne peut manquer d'être rude. Alors, le paradoxe qui associe, dans le sens commun comme dans le discours officiel, le risque à cette fraction de la population des deux-roues qui cherche précisément, autant que possible, à le contrôler, mérite que l'on s'y arrête. La clé réside dans cette opposition entre un usage répréhensible par nature, celui d'une moto toujours capable de hautes performances, et un usage, à l'opposé, valorisé, puisqu'utilitaire, donc supposé d'autant plus raisonnable que rares sont les 125 en mesure de dépasser les 110 km/h. Le coupable, au fond, c'est la machine. Contentez-vous d'un ordinaire scooter et, puisque vous êtes un citoyen normal, puisque vous cherchez simplement à rejoindre plus rapidement votre lieu de travail, puisque l'on peut d'autant moins vous reprocher de n'avoir aucune conscience de la bonne manière de se servir de l'engin que vous avez entre les jambes que, le plus souvent, aucune formation préalable ne vous a été imposée, vous pourrez tout vous permettre puisque ceux que l'on stigmatise, ceux dont on dit qu'ils prennent des risques d'inconscients, de fous, ce sont les autres, les motards.